Boris Johnson, fossoyeur du Brexit malgré lui (M. BRET)

Alors que le successeur de Theresa May est pour l’heure inconnu, on parle de Boris Johnson comme l’un des favoris à ce poste. En quoi cette crise politique britannique rend-elle la situation plus complexe qu’auparavant ?

Sur les ruines de l’échiquier politique britannique, du moins en ce qui concerne les deux partis traditionnels, travailliste et conservateur, Boris Johnson commence à faire figure de favoris dans la course à Downing Street. Supposons qu’il parvienne à ses fins, malgré ou grâce a l’appui affiché de Donald Trump la semaine passée. Qu’en est-il alors du processus de négociation pour le Brexit ? Si on écoute trop les déclarations des politiques outre-Manche, on a tendance à croire que la grande question est « Quel type de Brexit futur premier ministre cherchera-t-il, et saura-t-il négocier avec Bruxelles ? Saura-t-il même négocier directement avec Paris et/ou Berlin ? ». Le type de Brexit est d’ailleurs la question la plus importante pour l’avenir économique et social de la Grande-Bretagne. Car le type d’accord négocié, s’il finit par être adopté par le Parlement britannique, déterminerait dans une large mesure la relation future entre le pays et l’Union.

De ce point de vue, l’imprévisibilité des positions de Boris Johnson est sans doute plus grande que celle de Theresa May. Et la position encore plus fragile de son parti après sont mauvaises aux élections européennes, surtout en comparaison de celle du parti de Nigel Farage, ne rend que la question plus complexe.

Le successeur de Theresa May peut-il réussir là où elle a échoué ?

Si l’on tente de se détacher du roman feuilleton des trois années dernières à Westminster, pour n’en retenir que l’essentiel à savoir qu’aucun accord n’a jamais pu être adopté, si l’on s’intéresse plutôt à ce qui devrait se réaliser pour qu’un hypothétique nouvel accord puisse être adopté, la question est toute différente. Trop pressés de comprendre les enjeux immédiats et les blocages à répétition du drame parlementaire, trop hypnotisés par la fin de chaque scène qui posait avec éclat la question « l’accord négocié par May sera-t-il à nouveau bloqué ? », et par la fin de chaque acte qui annonçait « Thérésa May va-t-elle démissionner ? », on oubliait trop souvent de chercher ce qui devrait se passer si par chance l’accord était adopté. Des semaines de travail parlementaire intensif sur une myriade de textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre et à l’adoption de l’accord négocié étaient encore nécessaires, nécessitant à chaque étape de rassembler encore et toujours, Des mois durant, une majorité soutenant l’accord sur le long terme malgré les difficultés techniques qui ne manquerai pas de séries et de se révéler au cours du travail des commissions. Cette épineuse question était paradoxalement plus difficile avec Theresa May qu’avec Boris Johnson car, tout a sa priorité de préserver l’unité du parti conservateur, elle était néanmoins souvent proche de réunir le nombre de voix nécessaires sur un vote. Ces efforts pour tenter de réunir une majorité au-delà de son parti ont été bien tardif et avec peu de chances d’aboutir, et ses chances de succès pour réunir l’ensemble des membres de sa coalition sur un accord de séparation étaient toujours sur le fil du rasoir. Boris Johnson, plus ouvertement partisans de la séparation, aurait-il une chance de réunir suffisamment de voix travailliste supporter du Brexit pour faire passer son hypothétique accord ? Peut-être. Mais la vraie question pour qu’un d’accord ce matérialise dans le système légal britannique est celle de la création d’un socle d’adhésion suffisamment solide pour rendre possible l’ensemble du travail parlementaire.

Si l’on peut débattre sans fin du type de Brexit que Boris Johnson, une fois premier ministre, pourrait vouloir poursuivre, cette incertitude ne s’applique pas à ses capacités de rassembleur. Celles-ci sont pratiquement nulles, que ce soit à l’intérieur de son parti qu’il n’a cessé de diviser sur sa propre personne en tant que ministre, maire de Londres, candidat ou chroniqueur, ou au-delà de son camp en raison de ses atermoiements entre Brexit dur ou non, entre soutien à l’accord de Theresa May ou dénonciation violente de celui-ci comme une capitulation à l’Allemagne supposée toute puissante, et entre coups d’éclats diplomatiques ou accusations de désintérêt affiché pour les questions géostratégiques. Son passé parle pour lui, et ses qualités reconnues par tous sont celles d’un habile cavalier seul. Si jamais il réussi à négocier un nouvel accord, il n’a aucune chance de rassembler la nation ou la classe politique derrière lui pour effectivement l’entériner.

La France et l’Allemagne peuvent-elles se permettre de conserver leur posture de fermeté dans les négociations avec la Grande-Bretagne ? Les élections européennes ont-elles fragilisé leur position ?

Bruxelles, Paris et Berlin, en observateurs des dynamiques et des complexités du travail parlementaire britannique, réclamait depuis des années à Thérésa May de dégager une majorité derrière elle pour clarifier quelle relation à Grande-Bretagne désirait. Il semble peu probable qu’un nouvel interlocuteur leur fasse oublier cette question cruciale. Ont-ils donc vraiment besoin de faire montre de fermeté ? Seulement si un départ britannique négocié se matérialise. Mais l’incapacité de Boris Johnson à faire un travail de rassembleur privilégie plutôt soit une sortie non négocié (hard Brexit) soit un abandon, temporaire ou définitif de l’article 50 (no Brexit) que le parlement ou un référendum imposerait au premier ministre. S’il est une bonne nouvelle pour les partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l’union, c’est bien que Boris Johnson n’arrive à générer de majorité que contre lui. Alors que le parlement avait mis plusieurs mois à accoucher de textes finalement peu contraignants pour exiger de Thérésa mais qu’elle évite une sortie non négociée, Il est fort à parier que la patience des parlementaires serait bien moins grande vis-à-vis d’un Boris Johnson. La classe politique dans son ensemble a bien conscience que le délai jusqu’à octobre est un temps précieux à ne pas gaspiller. Mais pour l’instant, seul Nigel Farage semble capable de faire fructifier ce délai. Le parti conservateur gaspille ce temps aux yeux de tous en luttes intestines est en guerre de palais, au grand dam même de ses parlementaires non engagés dans la course.

Par sa personnalité cliente et son habileté politique employés surtout à servir sa propre personne, Boris Johnson pourrait paradoxalement se révéler être le meilleur fossoyeur du Brexit.

Retrouvez le texte ici : Michael Bret Brexit

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