Les défis de l’Extrême-Orient russe (VENARD sur EAP)

“[The development of the Far East] is our national priority for the entire 21st century” – Vladimir Poutine lors de son discours annuel devant l’Assemblée fédérale prononcé le 12 décembre 2013 (1).

Une priorité pour le 21ème siècle

Région constituée d’un ensemble de 9 sujets fédéraux (2), s’étendant sur près de 36% du territoire national (3), l’Extrême Orient russe s’est graduellement imposé comme un espace d’importance stratégique dont la mise en valeur s’établit désormais pour les autorités russes comme une “priorité nationale”. La création en mai 2012 (4) du ministère du Développement de l’Extrême Orient russe (Minvostokrazvitiya) (5) témoigne de cette orientation qui s’inscrit dans une dynamique plus générale de “pivot vers l’Est” (povorot na vostok) (6) de la Russie (7). Celle-ci vise à assurer un affermissement de l’influence, tant économique que militaire, de Moscou dans la zone Pacifique à travers notamment un approfondissement de la position d’interface (8) dont jouit l’Extrême Orient russe.

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Dans ce contexte, on observe l’émergence d’une progressive synergie entre les enjeux relatifs au développement de l’Extrême-Orient russe, d’une part, et les ambitions de la Russie dans la région arctique, d’autre part. De récentes évolutions institutionnelles, parmi lesquelles la décision prise en janvier 2019 (9) de confier au ministère du Développement de l’Extrême Orient l’implémentation de la politique fédérale ainsi que la gestion des projets mis en oeuvre dans l’Arctique russe (10), illustrent ce processus. Le choix d’intégrer la supervision de la stratégie arctique de la Russie au sein de ce ministère, et non de procéder à la création d’une entité distincte compétente pour ces questions, met ainsi en évidence l’idée d’une convergence des priorités, dans un souci d’efficacité et de complémentarité (11). Cela se traduit, par ailleurs, au niveau local, par une appréhension plus fine des enjeux arctiques, comme en atteste la création, au sein du gouvernement de la République de Sakha (Iakoutie), d’un ministère dédié au développement de la zone arctique (12).

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Ainsi, alors que le président russe a confié, en février dernier (13), au gouvernement l’élaboration d’un nouveau projet pour l’Arctique pour la période allant jusqu’à 2035, la logique d’interdépendance des ambitions tend à apparaître comme un déterminant majeur, l’impératif stratégique de mise en valeur de l’Extrême Orient russe s’inscrivant comme un point d’ancrage mais également comme un prolongement des visées de Moscou dans l’Arctique.

La Route maritime du Nord, un vecteur structurant pour le développement économique de la région

The Northern Sea Route will be the key to the development of the Russian Arctic and the regions of the Far East. » – Vladimir Poutine (14)

L’évolution du réseau des routes maritimes mondiales, dans laquelle s’insère le développement du Passage du Nord-Est, s’établit comme source d’opportunités pour la concrétisation du potentiel économique de l’Extrême Orient russe. La région, dont la côte septentrionale forme la partie orientale de la Route maritime du Nord, est en effet envisagée comme un plateforme d’accès vers le passage arctique. Dans un contexte de croissance, de l’ordre de 26.4% par rapport à 2017 (15), du volume de transbordement via les ports du bassin arctique russe, la priorité a ainsi été donnée, par les autorités russes, à la construction et à la modernisation des infrastructures, notamment portuaires. Outre le port de Tiksi (16) en Iakoutie, celui de Pevek (17), port d’escale de la Route maritime du Nord, a connu, après des années de déclin, d’importantes transformations (18), en vue de renforcer sa connectivité.

Russia is developing both gas pipeline infrastructure and LNG production facilities. We are also upgrading the Northern Sea Route and planning to create a gas hub in Kamchatka, in the Far East of our country, which will significantly increase our ability to supply LNG to the Asia-Pacific economies” – Dmitri Medvedev à l’occasion du sommet des chefs d’entreprise de l’APEC, en novembre 2018 (19)

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Par ailleurs, l’Extrême Orient russe disposant d’importantes ressources en hydrocarbures (pétrole, gaz et charbon) et en métaux (réserves de cuivre, d’étain, de tungstène, d’argent et d’or), la Route maritime du Nord permet d’élargir les perspectives d’exportations de celles-ci vers les marchés européens mais également asiatiques (20). La prise en compte de ces opportunités s’est notamment traduite par l’élaboration de projets visant à renforcer le positionnement de l’Extrême Orient russe sur la scène énergétique régionale. Est ainsi envisagée par le gouvernement russe la construction d’un terminal maritime dans la baie de Becheviskaya, dans la région du Kamtchatka, pour le transbordement de GNL issu de la péninsule de Yamal vers les pays de la zone Asie-Pacifique via la Route maritime du Nord (21), les autorités de Tchoukotka considérant, pour leur part, l’exploitation du gisement de Verkhne-Telekaiskoye (22). Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement les métaux précieux et semi-précieux, le ministre du Développement de l’Extrême Orient et de l’Arctique supervise l’exploitation du gisement de Peschanka (23), dans la zone de Baimskaya (24) qui recèle d’importantes ressources en or et en cuivre (25).

Une mise en valeur de l’Extrême Orient russe qui s’articule autour d’un renforcement de l’attractivité du territoire conjugué à la promotion d’une dynamique inclusive et partenariale

L’affermissement du potentiel économique de la région repose, du point de vue des autorités fédérales mais également régionales, sur un nécessaire accroissement des investissements de la part d’entités privées, qu’elles soient russes ou étrangères. A cet égard, ont été mis en place un certain nombre d’instruments et de dispositifs en vue d’attirer les investissements au sein de ce territoire. L’instauration de “zones économiques spéciales” (26), considérées comme des “moteurs de croissance” (27) à l’échelle régionale et jouissant d’un statut administratif spécifique, au sein desquelles les entreprises bénéficient entre autres d’avantages fiscaux, ainsi que la création d’une agence de soutien à l’exportation et aux investissements dans l’Extrême Orient russe (Far East Investment and Export Agency) s’inscrivent dans cette logique.

 

Government Institutions of the Far East Region

Afin de favoriser une approche inclusive des enjeux relatifs à la mise en valeur de la région, ont en outre été conçues diverses plateformes de dialogue et d’échanges à l’instar du Forum économique oriental dont la 4ème session s’est tenue en septembre 2018 à Vladivostok, en présence du président chinois et du Premier ministre japonais (28), mais également, au niveau régional, du Forum “Idea to Business, Business to Result” (29), organisé en mars dernier à Anadyr et à Evgekinot, à l’attention particulière des entreprises. En matière de recherche et d’innovation, il convient par ailleurs d’évoquer le développement de nouvelles coopérations comme en attestent les discussions entre la Fondation Skolkovo et des centres d’innovation islandais, les parties envisageant la potentielle construction de centrales géothermiques dans la région du Kamtchatka (30).

Le renforcement de la compétitivité de la zone se structure enfin autour d’un accroissement des investissements dans l’éducation et dans les dispositifs de formation. L’Agence pour le développement du capital humain dans l’Extrême Orient (31) joue, dans cette perspective, un rôle déterminant, notamment dans la recherche et la formation de spécialistes des enjeux arctiques.

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Un espace stratégique dans le cadre du processus de renforcement de la présence militaire russe au sein de l’Arctique

La défense de l’Extrême Orient russe s’est historiquement établie comme un enjeu fondamental de sécurité nationale. La consolidation des capacités militaires de la Russie au sein d’une région conçue comme une frontière mais également comme une interface (32) constitue ainsi, du point de vue de Moscou, un impératif stratégique. La façade septentrionale de l’Extrême Orient russe s’impose, dans ce contexte, comme un vecteur essentiel dans le processus de renforcement de la présence militaire russe au sein de la zone arctique. La rénovation de certaines installations militaires, à l’instar des aérodromes d’Anadyr et d’Alykel (33) ou encore des bases navales de Cap Schmidt (34) et de celles situées dans les îles de Nouvelle Sibérie (34), ainsi que la construction de nouvelles bases à l’image de celle établie non loin de la ville de Tiksi, sur la mer de Laptev (35) mettent en exergue cette logique. A également été évoqué en septembre 2018 par l’amiral Nikolai Evmenov (36), commandant de la Flotte du Nord, l’établissement prochain de stations radar dans les localités de Chokurdy et de Chersky (37). Il convient en outre de souligner que la protection de ces sites est désormais en grande partie assurée par la Garde nationale russe (Rosgvardia) qui a récemment connu une expansion de ses prérogatives dans la zone arctique (38). Ces évolutions mettent en exergue la centralité des enjeux sécuritaires au sein d’une région dont la mise en valeur s’établit in fine comme un levier de stabilité et d’influence.

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Christina VENARD (@ChristinaVnrd)

Notes

Références