La Corée du Sud au risque de l’isolement en Asie du Nord (MARTZ- EAP)

Depuis la Guerre Froide, la Corée du Sud constitue un des piliers du réseau d’alliances des Etats-Unis en Asie du Nord dans une logique d’endiguement de la Chine et de la Corée du Nord. Séoul et Washington entretiennent depuis les années 1950 un dialogue stratégique structurant auquel Tokyo est partie prenante. La présence de plusieurs bases américaines en Corée du Sud, totalisant quelques 28 000 soldats américains, offre à ce pays une garantie essentielle sécurité face aux différents foyers régionaux de crise.

UNITED-NATIONS-GA

Toutefois, depuis plusieurs mois, le président Moon (photo) semble lancé dans un étonnant cavalier seul géopolitique marqué par une exacerbation des rivalités avec les Etats-Unis et le Japon. Si bien que la solitude guette ce petit bout de péninsule…

Montée des tensions avec le Japon

Depuis maintenant plusieurs semaines, la guerre commerciale entre la Corée du Sud et le Japon fait rage. En cause, la décision rendue par la Cour Suprême de Corée le 29 novembre 2018 obligeant Mitsubishi Heavy Industries (MHI) à dédommager plusieurs Coréens contraints par elle au travail forcé entre 1941 et 1943.

La réaction du Japon, qui multiplie depuis les années 1960 les versements financiers pour compenser la douloureuse mémoire de la colonisation japonaise (1910-1945), a été immédiate. Les autorités japonaises ont décidé le retrait de la Corée du Sud de sa « liste blanche » de partenaires commerciaux de confiance bénéficiant de facilités pour l’export et l’import. En réponse, Séoul a adopté, fin août, une décision similaire alors que les appels à boycotter les produits japonais encouragés par plusieurs personnalités politiques locales se multiplient. De fait, les exportations nipponnes en direction de la Corée du Sud ont fléchi, touchant aussi bien l’habillement, l’industrie automobile (-40.6%) que les biens de consommations courants (- 97 % pour les seules bières). Le tourisme est également directement affecté, le nombre de visiteurs sud-coréens au Japon s’étant réduit de 48 % en un an.

th.jpg

La Corée du Sud n’est pas en reste : plusieurs chaebol (Samsung, LG, Hanwha) sont désormais en difficulté pour importer les composants électroniques japonais nécessaire sà son industrie de même que des produits chimiques, des matériaux avancés ou encore des équipements pour les navires. A plus long terme, cette guerre commerciale qui vient d’être portée par Séoul devant l’OMC, et dont les conséquences sont à additionner aux répercussions des rivalités commerciales déjà en cours entre la Chine et les Etats-Unis, devrait directement affecter les économies japonaise et coréenne. La banque Morgan Stanley table ainsi sur une croissance coréenne en recul à + 1,8 % du PIB en 2019 contre une prévision à + 2,5 % précédemment. Les conséquences de cette guerre commerciale sont également politiques. En réponse au durcissement des règlements d’exportation par la Japon, la Corée du Sud a annoncé, fin aout, la rupture de l’accord de partage de renseignement militaire avec le Japon qui, signé en novembre 2016, vise principalement à la surveillance de la Corée du Nord. Facteur aggravant, début octobre, Séoul a renouvelé ses revendications territoriales sur les îles disputées de Dokdo annonçant décidé à répondre fermement à toute tentative japonaise sur ces îles.

Prise de distance avec l’allié traditionnel américain

Le retrait de l’accord de partage de renseignement militaire avec le Japon est également un message envoyé aux Etats-Unis dont la relation avec la Corée du Sud ne cesse de se détériorer. Les demandes répétées de l’administration américaine d’augmenter le montant à payer pour le stationnement des troupes américaines en Corée du Sud provoque la colère de Séoul qui, preuve de son agacement et contre toute attente, à indiquer vouloir accélérer le départ des troupes américaines stationnées dans la base de Yongsan, installée en plein cœur de Séoul, vers le port de Pyeongtaek en face de la Mer Jaune.

180611-bixby-kim-trump-hero_lkrdbs.jpg

Mais le véritable sujet de discorde entre les deux pays est davantage sur la Corée du Nord. Le récent rapprochement entre Donald Trump et Kim Jong-Un ne peut qu’indisposer le président Moon Jai-Hi qui considère toujours le régime communiste du Nord comme le principal danger pour son pays et fait de la reprise des relations avec Pyongyang un élément central de sa politique étrangère depuis son investiture en 2017. Il va sans dire que le renforcement de la relation entre les Etats-Unis et la Corée du Nord relaie au second rang l’hasardeux processus de réunification piloté par Séoul. Comme pour reprendre la haute main sur le dossier, Moon Jai-Hi a proposé il y a quelques semaines à l’ONU la mise en place d’une « zone de paix internationale » en lieu et place de la fameuse zone démilitarisé (DMZ) afin de rassurer Pyongyang et reprendre un dialogue laissé en jachère.

th.jpg

Le président coréen Moon Jai-Hi à la recherche de nouveaux partenaires en Asie

Fidèle à l’idéologie de la gauche coréenne, le président Moon Jai-Hi pourrait être tenté, pour pallier cet isolement croissant et envoyer un message sans nuances à Washington, de jouer la carte chinoise. Dernièrement, Pékin est apparu comme un médiateur écouté dans le conflit qui oppose Séoul et Tokyo. Lors d’une réunion trilatérale organisée fin aout, la Chine est même allé jusqu’à appeler à une « plus grande coopération pour maintenir le multilatéralisme et le libre-échange ».

136826598_15132639030011n.jpg

Cette politique à l’égard de Pékin n’en reste pas moins ambitieuse tant la population coréenne est traditionnellement hostile à la Chine. A n’en pas douter, cela pourrait coûter cher à Moon Jai-Hi, particulièrement si cela se double d’un échec cuisant sur le dossier nord-coréen. Et cela d’autant plus que le président Moon est toujours plus critiqué par la population, certains ayant même appelé à sa destitution au cours de l’énorme manifestation du 3 octobre organisée dans les rues de Séoul.

Olivier Martz travaille dans le secteur de La Défense. il est diplômé de l’IEP Grenoble et de La Sorbonne.