La décennie 2010 marque un point bas dans les relations entre la Fédération de Russie et l’Union européenne après cinq années de renouvellement des sanctions économiques suite à l’annexion de la Crimée. Néanmoins, le monde européen n’est pas définitivement fermé pour la Russie.
De puissants facteurs peuvent en effet apaiser les différends politiques, militaires et économiques : les convergences structurelles entre Russie et Europe peuvent prévaloir à long terme. La première condition sera la fin graduelle du système présidentiel poutinien. La personnalité et l’ambition du président russe sont en effet le principal obstacle à la coopération entre l’Union européenne et la Fédération de Russie. Si les Russes estiment que l’humiliation des années 1990 est lavée, que le statut de puissance régionale ne leur est plus contesté, que l’extension de l’OTAN n’est plus à l’ordre du jour, un démantèlement graduel du programme anti-européen des années poutine sera envisageable en Russie. De leur côté, les Européens pourront saisir le moment d’un changement de pouvoir en Russie pour réduire significativement des sanctions dont l’efficacité s’érode et reprendre le dialogue politique avec leur voisin.
La Russie pourrait trouver dans l’Union européenne un appui pour plusieurs chantiers essentiels. Sur le plan intérieur, l’Union européenne peut offrir à la Russie ce dont elle a manifestement besoin : des investissements, des technologies, une réindustrialisation et des normes juridiques propices à la diversification de son économie. Les convergences peuvent s’accentuer entre l’Europe et la Russie sur le plan international. La montée en puissance de la Chine par le biais de l’Initiative One Belt One Road est un défi de souveraineté aussi bien pour Moscou que pour Bruxelles. Il en va de la place de la Russie sur le continent et de l’autonomie de l’Europe. De même, le désengagement américain d’Europe au profit de l’affrontement avec la Chine laisserait les deux puissances européennes dans la situation d’une cohabitation forcée sans tiers.
Ce rapprochement est loin d’être aisé, les différends militaires persistant sur le long terme en Ukraine, dans le Caucase et dans la Baltique. Toutefois deux scénarios de rapprochement peuvent être imaginés.
Le premier est celui d’une coopération par défaut. Face à la montée de la Chine, surtout au cas où elle se trouverait isolée en Asie centrale et au Moyen-Orient, la Russie serait contrainte de chercher en Europe des coopérations limitées. Les pouvoirs publics russes continueraient à vilipender les « valeurs européennes » au nom des valeurs russes, mais donneraient suffisamment de concessions à l’Union pour obtenir un démantèlement des sanctions et garantir la symbiose de la Russie avec l’économie européenne. La Russie serait alors à l’Europe ce que les banlieues ou les quartiers sont aux métropoles : des réserves de ressources mais aussi des zones de risques. La Russie se contenterait de revenir au statut de fournisseur imprévisible et dépeuplé (cf. graphique) de l’Europe. Le partenariat serait subi plus que choisi. Une convergence sans européanisation de la Russie en somme.
La deuxième option pour la Russie à 2050 serait une intégration limitée et progressive dans la famille européenne à défaut de l’adhésion à l’Union. Les défis à relever seraient évidemment considérables : les conflits dits « gelés » (en Ukraine, Moldavie, Géorgie) devraient trouver une solution négociée avec l’Ukraine, la Géorgie ou encore la Moldavie, Etats de plus en plus étroitement associés à l’Union. Dans ce scénario, la puissance militaire russe viendrait compenser l’absence de puissance extérieure de l’Union européenne et la faiblesse démographique persistante de la Russie la rendrait absorbable par l’Union. Comme l’adhésion à l’Union paraît douteuse, même à l’horizon de 2050, d’autres forums seraient à renforcer pour nourrir les convergences : les sommets UE-Russie, une nouvelle version de l’OSCE, un renforcement du Conseil de l’Europe ou encore un accord de partenariat et de voisinage. La Russie retrouverait ainsi un des piliers de son identité : l’inclusion sans dilution dans l’Europe.
Carte des Etats membres de l’OSCE (en vert)
De l’histoire longue à la prospective de long terme
En matière de prospective, la prudence est de rigueur. Pour concevoir les évolutions de la Russie en 2050, il ne suffit pas d’extrapoler à partir des tendances lourdes à l’œuvre en Russie. Il convient d’intégrer les évolutions propres des Etats-Unis, les fluctuations des cours des matières premières ainsi que les évolutions technologiques accentuant ou réduisant l’appétit pour les hydrocarbures par exemple.
Toutefois, l’histoire longue de la Russie permet d’envisager les évolutions de long terme. Le devenir du pays est très étroitement lié à l’idée qu’il se fait de lui-même : puissance asiatique, civilisation singulière ou partie prenante à l’Europe. Située à la confluence de ces trois mondes, la Russie a trente ans pour se définir ou se réinventer.