Depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, les efforts déployés pour la réunification ont presque exclusivement été menés par le Sud. Elu en mai 2017, l’actuel président Moon Jae-in déclare ainsi sa volonté de poursuivre un dialogue constructif avec le Nord en vue de parvenir à une réunification à l’horizon 2045. Cette échéance précise, fait nouveau sur la scène politique coréenne, ne peut se réaliser, au-delà de l’affichage des défilés conjoints lors de grands événements sportifs internationaux ou de visites présidentielles, que grâce au rapprochement progressif des deux économies de la péninsule. Dans quelle mesure ce rapprochement par l’économie est-il possible ? Dans quel délai ? Et à quelles conditions?
La réunification par l’économie : des efforts principalement menés par le Sud
Président de la Corée du Sud de 1998 à 2003, Kim Dae-Jung est l’un des précurseurs de la politique d’engagement constructif avec le Nord. Sa « Politique du rayon de soleil » s’articule principalement autour de projets économiques communs dont le complexe industriel de Kaesong (cf. carte et photo). Ouvert tout juste après sa présidence, en 2004, le site de Kaesong, qui rassemble en 2015 plusieurs milliers de travailleurs nord-coréens pour quelques centaines de cadres du Sud, voit l’installation d’environ 125 entreprises sud-coréennes principalement spécialisées dans les industries textile (58 %), métallurgique (11 %) ou encore électronique (9 %). Toujours en 2015, selon le ministère sud-coréen pour la Réunification, le site de Kaesong réalise une production de l’ordre de 500 millions de dollars.
Roh Moo Hyun, successeur de Kim Dae-Jung à la présidence, poursuit les efforts en faveur de la réunification et accélère, dans cette optique, les investissements dans l’économie nord-coréenne. Cependant, l’inconstance de la politique de Pyongyang, qui effectue en janvier 2016 un nouvel essai nucléaire, et l’alternance politique en Corée du Sud, qui voit la succession de présidents conservateurs à partir de 2008, entrainent une mise à l’arrêt de l’ensemble des projets de coopération économique jusque-là engagés avec le Nord.
Fils de réfugiés nord-coréens et s’identifiant à la gauche coréenne, l’actuel président Moon Jae-in (cf. photo ci-dessous) s’attache, depuis son investiture, à réamorcer le dialogue avec le Nord. Ses déclarations récentes, à l’exemple de celle de Berlin en juillet 2017, placent la coexistence et la coprospérité au cœur d’un lent processus de réunification devant aboutir en 2045. Une des pierres angulaires de cette réunification est la relance des projets économiques communs, particulièrement la réouverture du site de Kaesong et, fait nouveau, la reconnexion des voies ferrées entre les deux pays.
Comme pour Kim Dae-Jung au moment de la formulation de la « Politique du rayon de soleil », cette diplomatie économique doit aussi répondre à des objectifs purement nationaux : constituer un remède devant permettre à Séoul de relancer son économie en crise. Fin septembre, la Corée du Sud, économie traditionnellement très dépendante de ses exportations, a en effet vu ces dernières chuter en direction de ses principaux partenaires que sont la Chine (- 21,8 %), les Etats-Unis (- 2,2 %) et le Japon (- 5,9 %). En cause, deux guerres commerciales en Asie, la récession chinoise ainsi que la baisse du prix des semi-conducteurs qui représentent presque 1/5 de l’ensemble des exportations sud-coréennes.
Dans ces conditions, courant septembre, l’OCDE a revu à la baisse les prévisions de croissance de la Corée du Sud pour 2019 de – 0,3 point (soit 2,1 % au lieu de 2,4 %). Conséquence de ce ralentissement de l’économie, nombre d’entreprises sud-coréennes étaient aux côtés de Moon Jae-in lors de la visite de ce dernier en Corée du Nord en septembre 2018, au cours du troisième sommet inter-coréen, pour échanger avec les autorités de Pyongyang sur les possibilités d’investissements. Les ressources rares de la Corée du Nord et l’existence d’une main d’œuvre peu cher sont autant d’éléments qui n’ont évidemment pas échappé aux chaebols sud-coréens à l’exemple de Samsung, LG ou encore Hyundai.
Un Nord désormais plus réceptif
Ayant consolidé son programme nucléaire et assuré le lancement de programmes de recherche de pointe, Kim Jong Un, arrivé au pouvoir en 2011, fait désormais du développement économique de la Corée du Nord un axe majeur de sa politique. Le leader nord-coréen n’ignore pas les effets déstabilisateurs d’une détérioration durable de l’économie. A n’en pas douter, ce dernier se souvient de la sévère crise économique de la fin des années 1990 ayant provoqué une importante famine et la mort de milliers de nord-coréens. Or, selon des données récentes fournies par la Banque centrale sud-coréenne, tout laisse à penser que l’économie du Nord rencontre à nouveau de sérieuses difficultés : celle-ci se serait contractée en 2017 avec une croissance de -3,5 % du PIB puis de nouveau en 2018 à – 4,1 %. Cette détérioration brutale de l’économie s’explique par la multiplication, depuis 2006, des sanctions internationales visant les exportations de la Corée du Nord (minerais, vêtements) mais également des mesures décidées par les Nations Unis exigeant le rapatriement, avant la fin 2019, de l’ensemble des travailleurs nord-coréens présents à l’étranger. Ces derniers sont accusés de fournir à Pyongyang des devises étrangères destinées à financer le programme nucléaire et les autres activités illicites du régime.
Face à cette situation, Kim Jung Un s’emploie à une mutation progressive du système économique nord-coréen en s’inspirant du modèle chinois : en lieu et place de la planification d’autrefois apparaît désormais une économie davantage tournée vers les intérêts privés et la mise en place de moyens modernes de production. Paradigme nouveau, Pyongyang se présente également ouvert à la négociation et s’essaie à une levée des sanctions internationales. Kim Jung Un s’est dans cet esprit lancé dans des négociations difficiles, et jusque-là sans résultats, avec les Etats-Unis. Dans ce contexte, le rapprochement progressif avec la Corée du Sud, qui rencontre également d’importantes difficultés économiques, prend tout son sens et peut apparaître, pour le Nord, comme une opportunité sans pareille pour obtenir, des grandes entreprises coréennes en mal de développement, les investissements nécessaires à son économie. La Corée du Sud est cependant en concurrence avec la Russie et la Chine qui offrent également à Pyongyang les perspectives d’un développement économique rapide. Pékin, qui profite notamment de sa présence ancienne dans les zones économiques de Rason (Est) et de Sinuiji (Nord), est depuis le début des années 2000 le principal partenaire commercial de la Corée du Nord : plus de 90 % des importations et des exportations nord-coréennes sont ainsi réalisées avec le voisin chinois. Les entreprises sud-coréennes ne peuvent que regretter et s’impatienter de cette prépondérance de la Chine sur un marché qu’elles considèrent comme leur revenant de fait.
Principaux partenaires/Importations de la Corée du Nord (2001-2018) |
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2001 | 2005 | 2010 | 2015 | 2018 |
Japon (36%) | Chine (45 %) | Chine (63 %) | Chine (87 %) | Chine (96 %) |
Chine (19 %) | Russie (9 %) | Inde (12 %) | Inde (3 %) | Russie (1 %) |
Arabie saoudite (8 %) | Thaïlande (9 %) | Egypte (8 %) | Russie (2 %) | Inde (1 %) |
Brésil (7 %) | Qatar (8 %) | Afrique du Sud (6 %) | Thaïlande (2 %) | Brésil (0,32 %) |
Inde (6 %) | Singapour (3 %) | Singapour (1 %) | Philippines (1 %) | Suisse (0,14 %) |
Source : Samsung Securities (2019)
Un dialogue économique peut-il permettre une réunification ?
Ce scénario d’un gagnant-gagnant économique dans la péninsule coréenne comme étape préalable à une réunification est cependant très incertain. L’inconstance de la diplomatie de Kim Jong Un et les refus répétés de Pyongyang à l’égard de toute coopération économique avec le Sud compliquent un quelconque rapprochement à court terme. L’inégal niveau de développement des deux économies de la péninsule constitue également un obstacle important à une plus grande intégration entre les deux pays. Exemple parmi d’autres : en 2018, le PIB par habitant de la Corée du Nord est de 1 119 dollars, c’est-à-dire 26 fois moins qu’en Corée du Sud. Mais surtout, l’échec des négociations entre Donald Trump et Kim Jong Un, que ce soit à Hanoï ou à Singapour, a relayé au second rang l’espoir de Séoul de voir une levée progressive des sanctions internationales, pourtant condition préalable à une relance des échanges économiques entre les deux Corées.
Les Etats de la Péninsule rencontrent aujourd’hui des difficultés économiques sans pareille devant les encourager à une plus grande coopération. Moon Jae-in, qui a fait d’un rapprochement avec le Nord l’objectif ultime de son mandat présidentiel, ne peut cependant aujourd’hui aller au-delà de simples déclarations d’intention. Kim Jong Un, bien que disposant d’un appui économique de la Chine et de la Russie, n’ignore pas qu’une levée des sanctions internationales est essentielle pour permettre le développement durable de l’économie nord-coréenne et ainsi assurer l’avenir du régime. En réalité, une quelconque avancée sur le terrain de la coopération entre les deux Corées est pour le moment exclusivement liée à la politique américaine dans la péninsule et aux choix de Donald Trump.
Donald Trump et Kim Jong Un au sommet de Singapour (Juin 2018)
Olivier MARTZ