EAP : Assiste-t-on une fracture de l’Europe entre l’Est et l’Ouest du continent ?
Florent Parmentier : à la mi-avril, les pays les plus affectés par le virus sont l’Italie, l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne, soit majoritairement dans l’Europe du Sud. L’Europe a été au cours de ces dernières semaines l’épicentre mondiale du développement de la maladie, mais semble finalement atteindre un plateau élevé, tandis que les États-Unis connaissent aujourd’hui des rythmes de croissance importants. Dans ce contexte, les pays d’Europe Centrale et Orientale s’en tirent relativement mieux. Pour autant, les situations sont contrastées et amènent à beaucoup de prudence.
Comme tout choc externe, la crise pandémique a provoqué des remous puissants, du fait d’une impréparation générale. Et, de fait, la crise à laquelle nous assistons affecte l’Europe à plusieurs niveaux. Toutefois, il est important de dire que ce à quoi nous assistons n’est pas la crise de l’Europe : en effet, l’Europe n’a pas de compétences en matière de santé. Les souverainistes, qui critiquent habituellement la volonté de Bruxelles de vouloir se mêler de tous les aspects de la vie des Européens, ne peuvent décemment lui reprocher ne pas en faire assez ! C’est là un paradoxe assez fort. A ce sujet, il faut se souvenir qu’un ministre français, Paul Ribeyre, avait proposé au début des années 1950 la création d’une Communauté européenne de la santé. Contrairement à la Communauté européenne de défense, dans la disparition en 1954 apparaît encore dans les livres d’histoire, l’échec de ce rapprochement est aujourd’hui tombé dans l’oubli.
EAP : Y a-t-il une réponse spécifiquement « centre-européenne » dans cette crise du Covid-19 ?
Florent Parmentier : la question est important et doit amener une réponse double, sur le plan sanitaire et sur le plan politique.
Au sein du groupe de Visegrad, c’est la République tchèque où l’on a trouvé le premier cas, le 3 mars, les trois autres pays suivants rapidement. Ces pays mettent en avant leur action rapide et déterminée au début de la crise sanitaire (tests, port de masques, distanciation sociale, traçage digital), une stratégie payante malgré des systèmes de santé moins performants. Là où l’Europe du Sud est intervenue, l’Europe du Nord (Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède) a choisi une stratégie d’immunité collective, mais d’y revenir spectaculairement pour les Britanniques. La diversité des approches au niveau français, européen et mondial apparaît d’ailleurs assez bien dans les recherches du CEVIPOF.
Vient ensuite le traitement politique. Le tournant le plus spectaculaire a eu lieu en Hongrie, déjà de nombreuses fois condamnée pour ses dérives illibérales, où Viktor Orban sait se saisir des crises pour accumuler davantage de pouvoirs. Depuis le 30 mars, le Premier ministre Orban a tout simplement pu mettre en place un état d’urgence sanitaire à durée… illimitée ! Quant à la liberté de la presse, elle est elle-même menacée par l’adoption d’une nouvelle loi.
Toutefois, comme le remarque Jacques Rupnik, « on n’imite pas la Hongrie, on évite seulement de la montrer du doigt ». Le gouvernement polonais n’a émis aucune réserve, tout occupé à réduire les possibilités de l’IVG en cette période, et à envisager les présidentielles par correspondance à l’automne. Le Premier ministre tchèque Babis a vu son action saluée, y compris par l’opposition. Quant à la Slovaquie, elle vient tout juste de changer de majorité suite à des élections le 29 février dernier.
Cette crise était au départ une crise sanitaire, mais elle est bien devenue une crise politique. Quels en sont les enjeux pour les Européens ?
Florent Parmentier : la crise n’a pas encore révélé toutes ses dimensions, puisque la progression de la maladie n’est pas encore arrêtée, et que la situation africaine sera à suivre. Néanmoins, on peut identifier au moins cinq principaux défis pour les Européens.
- Un débat européen entre Nord et Sud : les dissensions entre un Nord moins dispendieux (Allemagne, Pays-Bas) et un Sud plus endetté (France, Espagne, Italie) se cristallisent au sujet des coronabonds.
- Une question démocratique : la recentralisation des pouvoirs en temps de crise derrière l’exécutif est en marche, de manière directe concernant Viktor Orban. L’état de crise sanitaire est propice aux reprises en main et à l’affaiblissement des contre-pouvoirs.
- Des migrations économiques : les agricultures ouest-européennes reposaient sur des travailleurs est-européens pour les récoltes – 300 000 personnes rien qu’en Allemagne. Que va-t-il se passer pour ces migrations de travail, entre pertes économiques à l’Ouest et impératifs sanitaires à l’Est (ils peuvent être empêcher de rentrer chez eux afin d’éviter des contaminations de l’extérieur) ? Même les Brexiters ont fini par comprendre l’utilité des travailleurs est-européens…
- L’influence européenne au-delà de ses frontières : le Président serbe Vucic a condamné la fausse solidarité européenne, mettant en avant la Chine et la Russie comme véritables amis. Les prochains développements du Covid-19 dans le voisinage seront à suivre.
- Une relance économique à trouver : autour des questions précédemment citées, comment faire face à une grave crise économique qui durera plusieurs années, et maintenir les valeurs européennes à un moment où elles seront attaquées de toute part, à l’intérieur comme à l’extérieur ?