La crise, accélération ou révolution? (BRET – Les Echos Le Cercle)

eq7erlpZ_400x400.jpgLes guerres, les krachs, les catastrophes naturelles ont ceci de commun avec les pandémies qu’elles modifient les rapports de force internationaux. Elles précipitent le déclin de certaines puissances (l’Europe en 1918) ou consacrent l’émergence de nouveaux acteurs (l’URSS en 1945). A l’heure actuelle, gagnants et perdants de la crise sont encore inconnus. Toutefois, plusieurs tendances s’affirment. La crise a un triple effet d’accélération des rivalités, de révélation de tendances négligées des et de création de véritables ruptures.

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Coup d’accélérateur pour les rivalités sino-américaines

Les crises actuelles durcissent la rivalité sino-américaine, éloignant la perspective d’un G2 supplantant le G7 et le G20.

Tour à tour « chevalier blanc » et « ermite », le président américain avait alterné les interventions musclées (en Corée, en Israël) et le sécessionnisme (contre l’ONU, l’OTAN ou l’UE). Aujourd’hui, il a tranché en faveur de l’isolationnisme. En fermant complètement l’accès au territoire américain, en privant de financement l’OMS et en refusant les coordinations minimales pour lutter contre la pandémie, les États-Unis se sont défaussés de leur leadership international.

Par un effet de vase communicant, la République Populaire de Chine (RPC) a, elle, tenté de reprendre le rôle de modèle. Quel paradoxe ! Foyer de l’épidémie soupçonné d’avoir masqué l’ampleur de l’urgence, la Chine se pose désormais en modèle biopolitique. En exportant ses médecins et ses matériels médicaux vers l’Europe et en relançant son économie avant tous les autres pays, elle prophétise que le monde d’après la crise serait guidé par la Chine. Elle a renoncé à ses habituels propos lénifiants sur l’harmonie des relations internationales : elle donne des leçons au monde et attaque directement son voisinage (Taïwan, le Japon et la Corée).

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La (re)conversion keynésienne de l’Europe

La jette aussi une lumière crue sur des mouvements de fond que les discours politiques ou les postures médiatiques occultaient.

La crise a révélé des forces et des faiblesses de l’Union qu’elle-même avait négligées. Deuxième foyer de l’épidémie par la chronologie et par le nombre de décès, elle s’est révélée incapable d’imposer une coordination sanitaire entre ses Etats-membres : l’Etat Providence n’est pas sa vocation historique et ce sont les États nationaux qui se sont saisis de la question, dans un ordre dispersé moqué à l’étranger. En revanche, le réalisme financier et le pragmatisme budgétaire de l’Union ont été tout aussi manifestes que les lacunes sanitaires : suspension des règles de rigueur budgétaires, financement massif des budgets nationaux par la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Dans la tourmente, la véritable force de l’Union s’est révélée : elle est taillée pour faire face aux récessions économiques sévères, y compris en soutien à des politiques keynésienne.

Face à la crise, l’Union européenne a presque oublié le clivage désormais convenu entre l’Ouest libéral et l’Est illibéral. Le principal clivage a séparé non pas l’Est et l’Ouest mais les partisans d’une mutualisation des nouvelles dettes (Espagne, France, Italie) et les États réticents (Pays-Bas, Allemagne). Dans la tourmente, le vieux clivage entre Europe germanique et Europe latine et entre cigales et fourmis budgétaire s’est ravivé. Mais les réticences devant l’intervention de l’État ont été balayées. Le clivage sur l’identité chrétienne, les valeurs de l’Europe et les migrations a brusquement cessé d’obséder le continent.

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Malaise dans la mondialisation

La véritable rupture dans les équilibres internationaux tient au confinement. Il ne concerne pas seulement les familles, les économies nationales et les scènes politiques. Le confinement est géopolitique.

En quelques semaines, les mesures de prophylaxie décidées par les Etats ont interrompu les grands flux de la mondialisation. La circulation touristique a chuté de 70% selon l’Organisation Internationale du Tourisme (OIT) et les mouvements migratoires ont été stoppés par le rétablissement des frontières administratives et sanitaires. Le commerce international a lui aussi chuté si bien que la récession mondiale anticipée par le FMI dépasse les -3% pour 2020. Il est beaucoup trop tôt pour annoncer une « démondialisation » : elle est pour le moment suspendue par l’urgence. Mais nous apprenons tous à vivre avec moins de mondialisation.

Le corollaire de cette rupture est le grand retour des Etats. Ils ont repris leurs habits du 19ème siècle et imposé des limitations drastiques aux libertés fondamentales pour fermer et quadriller leurs territoires. En matière économique, ils ont amplement et donc durablement accru leur périmètre d’intervention en se substituant aux acteurs économiques privés. Le monde de demain devra composer avec la résurgence assumée des autorités étatiques. Loin de se contenter du rôle de stimulateurs de l’économie, ils la gèreront. Loin d’accepter de s’effacer devant l’économie internationale autonome, ils voudront façonner la mondialisation selon leurs priorités.

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