Balkans et Covid-19. Entretien avec Thomas BOREL (Eurasia Prospective) (2/2)

D’ailleurs, quelle est la situation sanitaire actuelle dans les pays des Balkans ?

Alors qu’on craignait au début de la crise sanitaire des conséquences dramatiques dans les pays des Balkans occidentaux, notamment en raison du sous-investissement chronique dans leurs systèmes de santé, les mesures de précaution prises par les autorités nationales paraissent avoir considérablement limité la propagation du virus. En effet, on compte fin avril moins de 15 000 cas recensés de Covid-19 dans les 6 pays des Balkans occidentaux sur une population totale de 18 millions d’habitants. En comparaison, la France compte presque 10 fois plus de cas dépistés pour une population à peine 3,7 fois supérieure.

On peut certes expliquer en partie cette différence par les capacités de dépistage, plus faible dans ces pays qu’en Europe de l’Ouest, mais je pense que la précocité et le respect des mesures de confinement sont bien les principaux facteurs explicatifs de cette bonne situation sanitaire.

Comment s’y présente la question du déconfinement et plus généralement de l’après-crise, notamment dans le domaine économique  ?

L’urgence du déconfinement dans les Balkans occidentaux est plus importante qu’en Europe de l’Ouest, où la crise sanitaire en a pourtant entraîné une autre économique d’une ampleur rarement égalée par le passé. Cela s’explique par une situation sociale différente, avec des Etats moins riches et donc pouvant moins efficacement amortir l’impact de la crise les plus démunis qu’en Europe de l’Ouest où l’État-providence dispose d’un grand nombre de leviers (chômage partie, transferts financiers, etc.). Ainsi, comme dans d’autres pays en développement, le confinement a un coût social bien plus important dans les Balkans occidentaux que dans le reste de l’Europe.

Le déconfinement apparaît donc comme un impératif plus fort, ce que montrent par exemple les décisions du Président serbe Aleksandar Vučić de rouvrir le 28 avril les petits commerces et d’alléger l’interdiction de déplacement pour la week-end du 1er mai. La date de déconfinement fixée au 11 mai en France dénote ainsi d’une priorité moindre accordée à la question du déconfinement que dans ces pays, qui peut s’expliquer par le coût social supérieur, mais également par la moindre prévalence du virus dans ces pays.

Néanmoins, le déconfinement n’y est pas synonyme de retour à la normale de l’activité économique, puisque ces pays sont fortement intégrés dans les chaînes de valeur de l’industrie européenne. C’est par exemple le cas de la Bosnie-Herzégovine, dont le tiers du commerce extérieur dépend de l’insertion dans les chaînes de valeur européennes, notamment automobiles avec l’Allemagne. On peut également évoquer la place importante qu’occupent les remises de la diaspora dans l’économie, représentant jusqu’à 8% du PIB national en Albanie. La crise économique dans les pays de présence des diasporas balkaniques entraîne mécaniquement une baisse des transferts vers leurs pays d’origine. On peut donc en conclure que, tant que l’activité sera réduite dans les grandes économies européennes, notamment en raison du confinement, les économiques balkaniques ne pourront correctement repartir.

Où en est la relation entre l’UE et les pays des Balkans occidentaux après plus de deux mois de crise ?

Les pays membres et les institutions de l’Union européenne paraissent s’être rendu compte du risque de voir la région passer sous l’influence d’une puissance non-européenne, notamment chinoise ou russe, comme je le soulignais dans mon article Telos. La Commission européenne a ainsi proposé dès la fin mars un plan d’assistance de 400 millions d’euros pour les Balkans occidentaux, avant de lancer fin avril en partenariat avec le FMI un plan de 750 millions d’euros de prêts d’urgence pour faire face à la crise dans les Balkans occidentaux. Par ailleurs, depuis le 27 avril, ces pays sont désormais exemptés des mesures restreignant l’export de matériel médical hors de l’UE, ce qui avait provoqué l’incompréhension et la colère du Président Vučić à la mi-mars.

Le sommet UE-Balkans occidentaux, organisé par téléconférence le 6 mai prochain, sera le moment de faire un point sur cette relation. Les actions menées par l’UE pour aider la région pourront alors être mis en avant de manière plus concrète et le futur des négociations d’adhésion entamées (Serbie et Monténégro), celles ouvertes fin mars (Macédoine du Nord et Albanie) et celles encore à venir (Bosnie-Herzégovine et Kosovo) devrait être au cœur des discussions entre chef d’Etat.

De manière plus prospective, on peut signaler que l’Union européenne a un important rôle d’intermédiaire à jouer dans la crise politique qui secoue le Kosovo depuis fin mars, quand la chute du gouvernement issu des élections d’octobre 2019 s’est faite avec l’appui américain. La non-implication d’État membres dans cette affaire fait de l’UE le partenaire idéal pour amener un compromis entre le Premier ministre, Albin Kurti, et le Président, Hashim Thaçi.