Le 21 avril 2019, Volodymyr Zelensky était élu au deuxième tour avec plus de 73% des voix contre le président sortant Petro Porochenko. Dans la foulée, le « Macron ukrainien » a profondément renouvelé la vie politique ukrainienne. Un peu plus d’un an après cet événement, Mathieu Boulègue, chercheur à Chatham House répond à nos questions sur le bilan et les perspectives du pays à l’occasion de la publication de sa nouvelle étude « Resilient Ukraine: Safeguarding Society from Russian Aggression » avec Orysia Lutsevytch. Il dresse le bilan d’un an de présidence Zelensky.

Cyrille Bret : comment l’Ukraine a-t-elle affronté la crise du COVID-19? Sur le plan sanitaire, quel est le bilan? Sur le plan politique, quelles sont les conséquences? Sur le plan économique, quelles ont été les réponses?
Mathieu Boulègue : pour l’Ukraine, le Covid-19 représente une crise de plus a gérer au milieu d’une révolution politique sans précédent depuis 2013, un conflit armé avec la Russie, et la Crimée annexée… Sur le plan sanitaire, l’Ukraine a officiellement comptabilisé près de 40 000 cas. Toutefois, compte tenu du mauvais état du système de santé national et de l’absence de confiance des citoyens envers ce système, le nombre de cas avéré est probablement largement supérieur. D’autant plus que l’Ukraine ne dispose pas d’une capacité de test équivalente aux nombres réalisés en Europe.
La stratégie du gouvernement s’est initialement concentrée sur la fermeture des frontières afin que le virus ne se propage pas en Ukraine – et ainsi éviter de surcharger le système de santé. Cette stratégie a échoué, démontrant par là-même l’efficacité des agences nationales en charge de lutter contre la pandémie. Ceci représente un revers important pour l’Ukraine dont le gouvernement devra tirer les conséquences.
Face à cela, et afin de pallier l’inefficacité de la gestion publique, les citoyens se sont volontairement mobilisés entre eux. Des structures d’entraide ont été rapidement mises en place dans la plupart des régions ukrainiennes afin de faciliter l’accès aux soins, aux équipements de protection, des biens essentiels, etc. Là où l’Etat fait défaut, la société civile ukrainienne naissante s’organise efficacement. Cet engagement civique proactif est une caractéristique de la résilience de la société ukrainienne que nous abordons avec ma collègue Orysia Lutsevych dans notre publication.
« Là où l’Etat fait défaut, la société civile ukrainienne naissante s’organise efficacement. »
Mathieu Boulègue

Cyrille Bret : quel bilan tirez-vous de la première année de présidence Zelensky? A-t-elle tenu ses promesses? Quelles sont ses difficultés?
Mathieu Boulègue : j’en tire un bilan plutôt contrasté. Zelensky est rapidement parvenu à asseoir son autorité et se faire respecter comme un président ‘sérieux’ aux yeux des Ukrainiens et de la communauté internationale. Mis à part Moscou, bien entendu, qui dépeint toujours Zelensky comme un ‘clown’ et un ‘comique’.
Sur le plan interne, Zelenski était très attendu sur ses promesses de campagne: réforme de la loi sur le sol, réforme de la loi électorale, etc. Ces dossiers avancent lentement, mais sûrement. Non sans problèmes toutefois, les critiques du président étant de plus en plus nombreux ces temps-ci. Une forme de ‘fatigue de Zelensky’ s’installe progressivement dans le monde politique et parmi les citoyens. Aussi, de nombreuses résistances persistent en Ukraine, notamment le ‘poids du passé’ lié à un système oligarchique toujours en place aujourd’hui.
En matière de gestion du conflit armé avec la Russie, Zelensky était également attendu au tournant. Lors du dernier sommet au format Normandie en décembre 2019 (photo ci-dessous), Zelensky a très clairement défendu les ‘lignes rouges’ de Kiev (notamment pas de statut spécial pour les territoires séparatistes) contre Moscou. Toutefois, aucune avancée sérieuse n’a été constatée depuis lors – la pandémie n’a pas arrangé les choses. Il y a peu de chance que le président ukrainien puisse rendre à l’Ukraine les territoires du Donbass (et encore moins la Crimée) au cours de son mandat jusqu’en 2024.

Cyrille Bret : l’Ukraine est-elle solidement ancrée en Europe?
Mathieu Boulègue : mentalement oui! Des gens sont morts sur la place Maidan en 2014 pour défendre l’idée de l’Ukraine en Europe. Leur mémoire fait partie intégrante de la destinée de cette ‘nouvelle’ Ukraine profondément pro-européenne issue de la Révolution de Dignité.
Institutionnellement, le chemin est toutefois encore très long et semé d’embûches. Compte tenu de l’état actuel du projet européen et des nombreuses préconditions que l’Ukraine doit encore remplir avant de pouvoir considérer l’accession aux institutions européennes et au marché commun.
Toujours est-il qu’en terme de destinée nationale, l’Ukraine a durablement fait le choix de l’Europe. En retour, par la force brute, la Russie a de facto ‘fixé’ les frontières de l’Europe à l’Est. Reste à savoir quelle Ukraine pourra éventuellement rejoindre le camp européen – la Crimée est illégalement annexée par la Russie depuis 2014 et les territoires du Donbass sont toujours occupés par les ‘séparatistes’.
« L’Ukraine a durablement fait le choix de l’Europe »
Mathieu Boulègue