Le débat public mondial selon Nicolas TENZER

Ancien élève de l’ENS Ulm et de l’ENA, enseignant à Sciences-Po Paris et dans différentes universités ou écoles en France et à l’étranger, auteur de trois rapports officiels au gouvernement, dont deux sur la stratégie internationale, et de 22 ouvrages, notamment de La face cachée du gaullisme. De Gaulle ou l’introuvable tradition politique (Hachette, 1998), Quand la France disparaît du monde, Grasset, 2008, Le monde à l’horizon 2030. La règle et le désordre, Perrin, 2011, La France a besoin des autres, Flammarion, 2012, et, avec R. Jahanbegloo, Resisting Despair in Confontational Times, Har-Hanand, 2019. Il a créé en 1986 le Centre d’étude et de réflexion pour l’Action politique, dont il est le président, et la revue Le Banquet, en 1992, dont il est le directeur. Il intervient régulièrement dans les principaux médias en France et à l’étranger et est régulièrement invité comme orateur dans la plupart des conférences internationales sur les sujets stratégiques et de sécurité.

Cyrille Bret : Vous êtes à la fois haut fonctionnaire, écrivain, enseignant, essayiste, chroniqueur et directeur de la revue Le Banquet. Quel rôle l’intellectuel joue-t-il dans le débat public aujourd’hui ? Quelles fonctions doit-il remplir?

Nicolas Tenzer : Sans doute en raison de cette carrière aux multiples facettes que vous évoquez, je ne me suis jamais considéré comme un pur intellectuel, ni d’ailleurs comme un intellectuel « pur », en admettant que cela puisse exister. D’abord, je rappellerai ce qui me paraît devoir rester une constante, et l’inspiration portée par l’Affaire Dreyfus me paraît ici indépassable : l’intellectuel est commis à la vérité. Il ne saurait s’affranchir de ce devoir sans faillir. Cela ne signifie certes pas qu’il ne puisse pas avoir des opinions qui n’en ressortissent pas, mais s’il refuse de considérer les faits, il trahit. Il lui appartient aussi d’opérer ce que j’avais appelé une séparation des ordres : celui de la connaissance, d’un côté, celui de l’opinion insusceptible de vérité, de l’autre, mais dont l’honnêteté exige qu’elle soit claire et publique. Connaître les faits suppose de travailler et de se colleter avec le réel et, partant, de rentrer dans, si j’ose dire, la technique propre à chaque domaine. Bien sûr, un intellectuel doit dépasser l’existant pour imaginer du nouveau. Mais s’il ne cherche pas à disposer au préalable d’une base solide, il se condamnera au n’importe quoi. Or, dans les domaines que je connais quelque peu, j’ai vu trop d’intellectuels émettre des positions non documentées, théoriques, parfois littéralement idéologiques, sans avoir même tenté de s’approprier des connaissances – voire en dissimulant des faits gênants. J’ai vu aussi quelques beaux esprits pervertis par la chrématistique, l’envie, le ressentiment, ou tout simplement l’esprit de paroisse ou la paresse.

« Je ne me suis jamais considéré comme un pur intellectuel, ni d’ailleurs comme un intellectuel « pur » »

C. B. : L’enseignement, est-ce essentiel pour vous ?

N. T. : Oui, sinon je n’enseignerais pas depuis maintenant 36 ans ! Je considère l’enseignement presque comme un devoir pour celui qui a quelque chose à transmettre. Je l’ai toujours conçu comme une responsabilité vis-à-vis des générations futures. Cela nous oblige aussi à travailler toujours plus sur ce que nous pensons acquis une fois pour toutes, à répondre aux questions aussi justes qu’imprévues et à mettre en forme les éléments épars de notre pratique. L’enseignement nous oblige à prendre de la distance par rapport à notre quotidien et aux idées que nous estimons les mieux établies. Je crois aussi essentiel – pardon pour cette banalité – de garder ce contact direct avec celles et ceux qui vous nous succéder si je puis dire et de ne pas rester dans nos certitudes et nos routines.

« L’enseignement nous oblige à prendre de la distance par rapport à notre quotidien et aux idées que nous estimons les mieux établies. » Nicolas TENZER

C. B. : Vous considérez-vous comme un clerc à la Julien Benda ? comme un intellectuel engagé à la Jean-Paul Sartre ? comme un intellectuel spécifique à la Michel Foucault?

N. T. : S’il me fallait un modèle, je dirais plutôt Hannah Arendt ou Raymond Aron. Benda reste certes une référence en raison de cette exigence de vérité que je rappelais tout à l’heure, vérité qui requiert plus que jamais une société ouverte, des droits et des Lumières. Sartre ne portait sans doute pas cette exigence. Quant à Foucault, dont je trouve l’œuvre constamment inspirante malgré de forts désaccords, je n’en ferai certainement pas un modèle d’intellectuel au sens de savant engagé dans la cité. Peut-être qu’en raison même de ses présupposés théoriques, il n’avait pas le rapport que j’estime nécessaire à la liberté et à la vérité. Arendt et Aron, qui furent d’ailleurs parfois en désaccord, portaient l’une et l’autre ce rapport. Ils étaient soucieux d’appréhender le réel et ne rechignaient pas à aborder des sujets pratiques et concrets, tout en étant mus par une rigueur théorique et un savoir approfondi. Ils ne transigeaient pas avec les faits. L’analyse arendtienne des principaux concepts politiques reste pour moi une source permanente d’inspiration et j’y reviens souvent, ainsi que, en particulier, ce qu’écrivait Aron de l’histoire et des relations internationales. Pour celui-ci, je suis persuadé qu’il n’aurait pu proposer des analyses lumineuses de ces dernières s’il n’était pas d’abord philosophe et s’il n’avait pas d’abord exploré la philosophie de l’histoire – qui fut d’ailleurs l’objet de sa thèse. Ce n’est pas un hasard s’il y est venu relativement tard et si, pour cette raison même, il fut, de la scène internationale, l’un des penseurs les plus profonds et durables.

C. B. : Qu’est-ce qui a évolué dans les raisons qui vous ont conduit à fonder le CERAP et à créer la revue Le Banquet ? Et qu’est-ce qui est resté identique ?

N. T. : L’un et l’autre étaient des moments. J’ai fondé le Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP) – le développement du sigle explique l’intention – en 1986 et sa revue, dont il est détenteur de la marque, en 1992. Avec le CERAP, l’idée était de réunir, d’une part, des personnes de professions différentes (enseignants, chercheurs, fonctionnaires, professions libérales, cadres du privé, etc.), d’autre part, d’horizons politiques divers, à l’exclusion des extrêmes, pour réfléchir sur des sujets concrets afin d’aboutir à des solutions qui dépassent les clivages classiques. Nous avons sorti des ouvrages sur l’éducation, la bioéthique et la question des élites, et, pour ce dernier, avec la certitude que nous pouvions et devions en opérer la critique d’un point de vue non populiste comme on dit aujourd’hui. La marque de fabrique du CERAP a toujours été de passer de la réflexion sur les principes à l’action en passant par une immersion dans la mécanique concrète de la décision publique. Nous avions aussi un groupe de parlementaires associés, de tendances diverses, qui a adopté un projet de réforme du Parlement qui a eu quelque écho en 1992. En créant la revue, nous avions eu l’idée d’en faire un organe de diffusion de nos travaux – et heureusement, elle ne l’a jamais été, même si nous avons publié quelques textes issus de nos groupes de travail. Elle est assez vite devenue une revue intellectuelle, de plus en plus ouverte sur le monde, et les derniers numéros parus sont d’ailleurs essentiellement en anglais.

Avec le recul, je pense que nous sommes venus un peu trop tôt, que nous avons trop tablé sur le bénévolat alors que nous aurions dû nous donner les moyens de recruter des salariés, et peut-être aussi étions-nous dans le mauvais pays ! Je réfléchis actuellement à la refondation du CERAP en l’orientant plus sur les sujets de dimension internationale, pas seulement la politique étrangère, et sur une base programmatique plus claire – droits de l’homme, société ouverte, défense des principes de la démocratie notamment. Nous aurions besoin de cela en France, mais je ne suis pas sûr que cela soit le plus facile ici. C’est aussi dans cette perspective que nous réfléchissons au redémarrage de la revue, dont l’activité a été suspendue en 2015 après 24 ans pour des raisons essentiellement financières. Le contexte de crise générale des revues intellectuelles est aussi un moment salutaire pour réfléchir à ce qu’il est vraiment utile de faire. Publier pour publier n’a aucun intérêt.

C. B. : Quel regard portez-vous sur les relations internationales aujourd’hui ? Entre les prophètes du « plus rien ne sera plus jamais comme avant » et les avocats du « rien n’a réellement changé », quel est votre regard sur les évolutions du monde depuis la fin de 2020 ?

N. T. : Cela devrait être le sujet de l’un de mes prochains livres… Si votre question porte sur les conséquences de la pandémie du coronavirus, j’ai eu l’occasion de le développer dans plusieurs articles récents : non, il n’y aura pas un avant et un après. Les mêmes tendances sont toujours présentes et je ne vois pas de changements majeurs se profiler – je ne parle certes pas ici des conséquences économiques, sociales et mentales, mais uniquement de l’impact géostratégique sur les stratégies des puissances. Je redoute en revanche un effet de distraction et une vigilance émoussée.

Sur la plus longue période, je ne suis pas un adepte du fixisme en histoire, encore moins du déterminisme, qui relèvent de ce que j’avais appelé une « géopolitique archaïque ». Je crains que ceux qui fondent leurs analyses essentiellement sur la permanence des nations et de leurs supposés intérêts, voire d’une « âme » des peuples, aient une vue qui les empêche d’analyser les ruptures et les changements, pour le meilleur ou pour le pire, portés par les individus singuliers et les peuples qu’ils mobilisent. Je me méfie aussi de ceux qui ne voient que les Etats dans leur permanence et non les régimes. Je me refuse autant à ne voir que l’Allemagne derrière Hitler – même s’il eût été difficile à l’hitlérisme de naître dans un autre pays – qu’à considérer essentiellement la Russie derrière Poutine ou la Chine derrière Xi. Certes, ces deux dictateurs n’auraient pu accomplir leurs crimes s’ils étaient suisses ou colombiens – et ils ont mobilisé un potentiel, matériel, historique et idéologique, qui existait spécifiquement dans leurs pays ‑, mais sans eux la face de la Russie et de la Chine eût été différente.

Si je parle d’eux, c’est parce que la menace de Moscou et de Pékin me paraît très sous-estimée – peut-être un peu moins pour la dernière. Pour l’Europe, de manière immédiate, le régime de Poutine constitue une menace systémique majeure à laquelle nous devons répondre de la manière la plus ferme qui soit – ce que vise Poutine est bien, je l’ai développé ailleurs, de mettre à bas l’ensemble des principes et règles qui fondent les règles et droit internationaux, ses institutions et nos libertés. La menace chinoise est à terme sans doute plus forte, mais si nous ne répondons pas à la première, cela risque de ne pas être la peine de disserter sur la seconde ! Et je ne parle pas de la coquecigrue qui consiste à penser que le régime actuellement en place à Moscou pourrait nous aider à contenir Pékin ! La forme de complaisance envers ce régime, coupable de crimes de guerre, j’y reviendrai, me paraît sidérante.

De manière globale, le grand combat du XXIe siècle sera celui pour les droits et pour la loi internationale. Au-delà de considérations morales ou idéalistes, le comprendre me paraît la base de toute pensée internationale réaliste, c’est-à-dire fondée sur l’analyse des risques et l’exigence première de sécurité. Cela m’a amené souvent à dénoncer ceux qu’Aron appelait les « pseudo-réalistes » qui sont prêts à s’en accommoder et les tenants de l’idéologie de la « stabilité » ‑ souvent les mêmes d’ailleurs. Et je ne parle pas des « culturalistes » ou « essentialistes », assez bien représentés dans certains milieux en France, qui considèrent que certains pays, en raison de leur histoire, de leur religion ou de leur sociologie, ne seraient jamais mûrs pour la démocratie et la liberté. Le défi des démocraties sera aussi, pas seulement de tendre la main à, mais de soutenir par tous les moyens, celles et ceux qui se battent pour la démocratie et le règne du droit dans le monde. Ce n’est pas du prêchi-prêcha, mais notre intérêt bien compris.

C. B. : Vous vous êtes publiquement engagé dans la dénonciation des crimes de guerre en Syrie. Une solution politique est-elle encore possible ? A quelles conditions une sortie de crise serait selon vous acceptable ?

N. T. : Les crimes contre l’humanité du régime Assad et les crimes de guerre de Poutine et de l’Iran en Syrie constituent l’événement majeur des vingt premières années de ce siècle. L’indifférence qui les a accueillis, la non-intervention bien sûr – alors qu’une intervention en 2013 en particulier eût non seulement sauvé des centaines de milliers de vies humaines, mais aussi mis un coup d’arrêt aux régimes criminels que j’ai cités – et l’incompréhension de ce que cela signifie pour l’esprit public, restent pour moi une faute lourde des gouvernements et le signe d’une faillite absolue d’une majorité des soi-disant intellectuels.

Posons-nous un instant : nous ne sommes pas en 1945 où le monde a découvert la réalité de la Shoah – car finalement peu savaient avant (sans parler de ce ceux qui, à l’époque, ne voulaient pas entendre), en tout cas pas le grand public. Lors de la guerre en Syrie, depuis 2011, le régime essentiellement (90% des crimes lui sont imputables et le régime de Poutine a tué plus de civils que Daech) a non seulement massacré sous nos yeux, mais les massacres futurs étaient toujours annoncés. C’est comme si la police savait qu’un criminel multirécidiviste allait violer et égorger des enfants dans nos rues et ne faisait rien pour prévenir le crime. Cela s’est passé en Syrie. Nous avons comme perdu le sens commun.

Alors, que faire ? Il est évident que les solutions eussent été moins difficiles en 2012 (Homs), 2013 (massacres chimiques de la Ghouta) ou 2016 (siège et chute d’Alep), mais cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas. D’abord, faisons attention à notre langage. 1) Assad n’a pas gagné la guerre. Il n’a pas reconquis toute la Syrie. Même dans les zones contrôlées par le régime, les manifestations reprennent, attisées en partie par l’effondrement économique de ce régime prédateur. 2) Arrêtons l’enfumage avec le mantra, aussi usé qu’indécent, « il n’y a pas de solution militaire, mais seulement une solution politique (ou diplomatique) ». Cela a été répété ad nauseam depuis le début du conflit, et cela ne marche pas. Non, la seule solution a toujours été, est et reste militaire, parce que l’agression du régime et de ses alliés est militaire. Bien sûr, par militaire, je n’entends pas un déploiement massif. 3) Cessons de prétendre que le départ d’Assad n’est pas indispensable. Oui, il l’est. Il n’y aura aucun espoir tant que lui et son clan seront au pouvoir. On ne va pas changer un criminel contre l’humanité en un faiseur de paix et un réconciliateur. 4) Arrêtons de dire que le pire danger est islamiste et qu’Assad est la moins pire des solutions. Si Daech (dont Assad a libéré des milliers de combattants) est en Syrie et si Al-Qaeda a pu y pénétrer et y prospérer, c’est bien à cause du régime. Voyez ce qui se passe, toujours aujourd’hui dans la région d’Idlib : l’immense majorité de la population ne veut ni d’Assad, ni des islamistes de HTS. Voyez aussi les témoignages des révolutionnaires aleppins recueillis dans l’admirable livre de Cécile Hennion, Le fil de nos vies brisées : ils furent les premiers meurtris et effrayés par les combattants islamistes, parfois venus de l’étranger, qui menacèrent la survie de la Révolution syrienne. Donc, oui, il y a des groupes islamistes en Syrie, mais ils ne représentent pas la population syrienne et ils prospèrent car le chaos créé par le régime est là. Le « narratif » abominable du régime « Assad, ou les islamistes », est faux et il faut arrêter de donner quelque crédit à ceux qui s’en font les propagandistes. 5) Donc oui, nous pouvons et devons organiser une transition avec les forces de l’opposition sur place et la diaspora et arrêter de nous focaliser sur le comité constitutionnel qui, outre d’être bloqué par Assad, ne représente rien. Est-ce aisé et gagné d’avance ? Non, évidemment. Existe-t-il un risque de « déstabilisation » pendant longtemps ? Oui, mais soyons sérieux : sera-t-elle pire que celle entretenue par le régime ? Non. 6) Y a-t-il un problème avec l’opposition syrienne ? Oui, car elle est divisée ; certaines de ses personnalités ne sont pas crédibles et engageantes, et beaucoup de celles et ceux qui pouvaient incarner l’espoir ont été massacrés par le régime ‑ et pour cette raison même. Mais je propose qu’on renverse l’ordre des facteurs : nous, pays occidentaux, devons avancer, définir une stratégie et mettre un terme au régime Assad. Nous serons ainsi crédibles. Dès lors, nous aurons un peu plus de moyens, en raison de cette légitimité, pour mettre les opposants autour d’une table et commencer à bâtir un régime de transition. Cela ne se fera pas s’il est clair que nous n’entreprendrons rien et nous coulerons en supplétifs dans le moule des termes de référence de la Russie. Nous pouvons et devons reprendre la main, mais cela suppose de dire notre fait à Moscou. Penser que cela se fera du jour au lendemain est certes illusoire, comme l’est une réconciliation spontanée – après plus de 9 ans de guerre, 700 000 morts, 12 millions de déplacés et un pays détruit, cela sera très long. Mais le chemin est là.

C. B. : Si vous aviez à écrire une « Lettre à un jeune intellectuel » (comme Rilke avait écrit une Lettre à un jeune poète), quelles suggestions lui feriez-vous pour aborder le débat public contemporain ?

N. T. : D’abord, je lui dirais, comme à tout autre jeune : « Au cours de ta vie, sors souvent de ton monde ! » Certes, lui suggérerais-je aussi : « Cultive tes connaissances ; approfondis-les toujours et encore ; vise toujours l’excellence ! » Mais je lui conseillerais de changer régulièrement d’univers. C’est sans doute vrai pour la plupart des métiers, mais pour l’intellectuel c’est une nécessité absolue : il ne doit pas rester la personne d’une seule institution, d’un seul domaine, d’une seule appartenance et, certainement, d’un seul pays. La France, en raison de son système d’organisation de la fonction publique, administrative comme enseignante, n’est pas propice à cela : passer de fonctions de recherche à une activité « dans la cité » ou de conseil, et inversement, n’est pas aisé et celles et ceux qui ont cette double appartenance sont tout sauf favorisés. Un anti-intellectualisme prononcé demeure dans l’administration et les cercles du pouvoir et une forme de distance par rapport à la décision pratique et les milieux du pouvoir n’est pas rare dans les milieux universitaires.

« Au cours de ta vie, sors souvent de ton monde ! » Nicolas TENZER aux intellectuels en devenir

Mais je suis très heureux de voir de plus en plus de jeunes chercheurs ou professionnels partir et réussir à l’étranger, même si je suis modérément optimiste sur les raisons qui les y ont conduits. Les institutions d’enseignement supérieur ont aussi considérablement évolué ces dernières années dans le sens de l’internationalisation, mais l’impact de ce mouvement sur l’administration et le mode de gouvernement est beaucoup trop ténu.

Chez les intellectuels, je perçois un dualisme inquiétant : d’un côté, beaucoup, économistes, historiens et spécialistes des questions internationales, notamment, sont totalement internationalisés et ont le monde pour horizon ; d’un autre côté, certains, parfois les plus médiatiques et, je dois dire, les plus approximatifs, restent dans une forme de bulle et leur influence sociale, qui n’est pas exactement constructive, est sans commune mesure avec leur reconnaissance académique, nationale et internationale.

Donc je dirais aussi à ce jeune intellectuel : « Parcours le monde, et chaque fois demande-toi comment tu peux y agir, sans ni t’enfermer dans le conformisme, ni t’abandonner à la rupture utopique ». Je lui dirais de cultiver une culture théorique nécessaire à la pensée et à la résistance à la pensée simple. Je lui dirais bien sûr de lire, et de relire encore, de commenter pour soi ses lectures, de garder en toute occasion la pensée en mouvement. Mais je lui dirais aussi, à un moment, de sortir de la théorie ou, plus exactement, de tenter de saisir en quoi elle lui permet de mieux comprendre le monde et d’y œuvrer. Je lui suggérerais enfin de songer à bâtir ses idéaux en homme ou en femme libre, de ne jamais céder à la pression, de ne jamais accepter de se compromettre, mais aussi de réfléchir à comment les transformer en action sans se laisser emporter, alors, par la domination des songes.

« Ne jamais céder à la pression, de ne jamais accepter de se compromettre, mais aussi de réfléchir à comment les transformer en action sans se laisser emporter, alors, par la domination des songes. » Nicolas TENZER aux jeunes intellectuels.