Bilan du Partenariat oriental par S. Exc. Pierre Andrieu

Florent Parmentier : Pierre Andrieu, vous avez été Ambassadeur au Tadjikistan, en Moldavie et pour le Partenariat oriental, et ancien co-Président du Groupe de Minsk. Vous venez de publier un note pour la FRS sur le Partenariat oriental. Quel bilan dressez-vous au bout de 10 ans ?

Pierre Andrieu : Je pense que le bilan de la politique de Partenariat oriental de l’UE est, comme disait un célèbre homme politique français, « globalement positif ». Les pays partenaires ont profité de la libéralisation des marchés de l’UE, dans le cadre du PO, pour augmenter les échanges commerciaux avec l’Union. Les réformes internes ont progressé, notamment dans les trois pays qui ont signé des accords d’association et des accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA – DCFTA en anglais). Tout en étant exigeant, le cadre du PO est suffisamment souple pour permettre à chacun des pays partenaires de se rapprocher de l’UE à son propre rythme et selon ses propres intérêts nationaux. Ainsi l’Arménie, qui a adhéré à l’Union euro-asiatique (UEE), a signé avec l’UE un texte ad hoc intitulé « Accord de Partenariat global et renforcé », compatible avec ses engagements au sein de celle-ci, mais ne prévoyant pas de zone de libre-échange avec l’Union européenne.

Il reste encore beaucoup de chantiers à terminer, notamment en ce qui concerne la gouvernance. De plus, comme d’autres pays européens, certains d’entre eux connaissent des problèmes politiques, aggravés par la crise économique et sanitaire. Une étape importante a été le Sommet virtuel du 18 juin, pour cause de covid. Le Sommet « physique », au cours duquel seront examinés les « Cinq objectifs à long terme », est prévu en mars 2021.



Florent Parmentier : Quels sont les principaux défis du Partenariat oriental aujourd’hui ? La crise sanitaire constitue-t-elle un changement radical en la matière ?

Pierre Andrieu : Outre les défis politiques et institutionnels, les pays partenaires auront à approfondir, avec l’assistance de l’UE et de ses pays membres, les réformes économiques et sociales afin de poursuivre leur rapprochement avec celle-ci. La pandémie du coronavirus, qui a aussi frappé durement les pays partenaires, a en effet pris le pas sur tous les autres défis tout en ne les faisant pas disparaître. Le renforcement de la résilience est devenu le nouveau « mot d’ordre » des projets du PO dans les années à venir. L’UE a été à la hauteur de l’enjeu sanitaire en pourvoyant rapidement une importante assistance, y compris dans le  domaine économique. Mais, comme j’ai pu souvent le constater dans mes postes diplomatiques dans ces pays, cette aide européenne n’est pas toujours mise suffisamment en valeur et fait même l’objet de dénigrement, parfois relayé par des autorités locales. Du reste la lutte contre la désinformation constituera une priorité du PO dans l’avenir.

Florent Parmentier : Vous mentionnez dans votre texte une note de la RAND Corporation, qui vise à apaiser le niveau de tension dans l’entre-deux européen. Est-ce une tentative isolée, à l’heure où la guerre en Ukraine reste très présente ?
Pierre Andrieu : Comme vous le savez, la RAND Corporation est un think tank américain réputé proche des milieux conservateurs. Ces propositions concrètes destinées à encourager le dialogue avec la Russie dans ce que les auteurs appellent « l’entre-deux européen » (ce qui correspond exactement aux pays du PO), qui est précisément le principal théâtre des disputes entre les l’Occident et ce pays, sont d’autant plus intéressantes. Ces propositions rejoignent des initiatives européennes, et notamment celle du président Macron, qui a engagé un « dialogue de sécurité et de confiance avec la Russie », dont il a confié la coordination à Pierre Vimont, ancien ambassadeur auprès de l’UE et à Washington et ancien Secrétaire général du SEAE. Le dialogue ainsi engagé concerne bien entendu aussi la crise ukrainienne. La Russie est en effet une puissance européenne avec laquelle il faut maintenir le dialogue, notamment concernant le Partenariat oriental.