Après plus de quatre jours et quatre nuits de négociations, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne ont trouvé un accord qui marque une réelle avancée dans le processus de construction d’une solidarité européenne. La complexité de cette avancée révèle également les divergences réelles entre Etats membres. Cependant la coopération européenne semble indispensable pour la défense de l’Europe. Avant de se demander comment, il convient de chercher pourquoi.
Les intérêts stratégiques des Européens
D’abord, des intérêts convergents réunissent les Etats membres. Comme le souligne le Général Vincent Desportes, notre proximité géographique et culturelle font que les pays de l’UE sont les alliés les plus fiables pour chacun des autres. Les Etats-Unis ont, depuis la présidence Obama, entamé une réorientation stratégique vers le Pacifique réduisant de facto leur investissement dans l’Atlantique. Dès lors, les Européens doivent faire preuve de maturité et accepter de se réapproprier leur défense qui est une des clés de voûte de leur souveraineté. Cette défense de l’Europe bien que complexe par le caractère régalien, l’absence d’Europe politique et le manque de coopération dans les crises récentes est nécessaire pour que l’Europe soit forte en Eurasie et dans le monde. L’Europe se doit d’être forte pour parler d’égal à égal avec les puissances mondiales et ainsi être respectée par elles.
Ensuite des menaces partagées. Par leur proximité géographique, culturelle et leur coopération les pays de l’UE font face à des menaces communes comme la montée des conflits asymétriques, la renaissance du risque de conflit de haute intensité et la gestion des flux migratoires. Ces problématiques touchent tous les pays d’Europe même s’ils en ont une vision différente. Par exemple, la crise migratoire qui n’en est qu’à ses préludes voit une divergence entre la vision des pays de l’Ouest et de l’Est. Pour autant, cette divergence ne doit pas conduire à un manque de coopération bien au contraire. Cette dernière est nécessaire à la résolution de cette question et est le seul moyen de faire évoluer sainement les idées de tous.
La malédiction démographique
La question de l’échelle est essentielle. Elle se pose pour chaque pays de l’UE pris individuellement dans la sphère eurasiatique . Cette différence s’exprime particulièrement dans le domaine démographique et économique.
D’abord la démographie car elle finit toujours par avoir raison. La domination européenne fut acquise notamment par la force démographique du continent résultant de la fertilité du climat et des terres européennes. A titre d’exemple, l’Europe continentale (hors colonies) comptait en 1900 plus de 420 millions d’habitants soit 26% de la population mondiale. Ce pourcentage n’a cessé de décroitre pour atteindre péniblement 10% aujourd’hui et selon les estimations atteindre 7% en 2050. Ce delta démographique grandissant entre l’Europe continentale et des pays grandissants (Chine, Inde, …) porte le risque de rapports de force inégaux dans de nombreux domaines qu’ils soient militaires, technologiques ou industriels.
Sur le plan économique, l’Europe prise dans son ensemble représente un marché considérable et un PIB qui n’a rien à envier à celui de la Chine ou des Etats-Unis. Nous disposons d’entreprises fortes qui si elles sont soutenues tant officiellement que par les opérateurs de l’intelligence économique peuvent rester sous pavillon européen et dynamiser le continent. Cependant pour générer les phares économiques de demain, il faut que technologiquement l’Europe soit moteur, pour cela il convient de repenser notre système éducatif et la perception de cette étape qui est importante pour les individus mais aussi décisive pour la souveraineté de l’Europe. Si l’Europe ne se mobilise pas pour ce chantier éducatif les répercussions démographiques dans ce domaine seront d’autant plus fortes. Pour pallier à cela le modèle scolaire de Singapour est à étudier sérieusement.
L’UE doit aussi voir au-delà de ses limites et repenser sa relation avec la Russie à l’aube du 21ème siècle. Si la Russie profite de façon occasionnelle mais intolérable de notre faiblesse d’aujourd’hui, une UE puissante jouira d’un rapport de force tout autre avec la Russie. Bien plus favorable à ses intérêts. Le rapport de force rétabli, l’idée d’une coopération dans toute l’Europe assurant notre souveraineté à l’échelle continentale ne pourra que séduire la Russie qui bien que se tournant vers la Chine risque d’être vassalisée en raison des données économiques, démographiques et technologiques entre les deux puissances.
Pour toutes ces raisons le pragmatisme doit l’emporter face à l’idéologie en matière de coopération européenne et de défense de l’Europe. Il nous est nécessaire aujourd’hui de voir au-delà du temps court et d’assurer pour les décennies à venir la paix et la prospérité européenne qui ne pourront se faire sans un rééquilibrage des rapports de force en Eurasie.