Sputnik V : le pari russe (PARMENTIER – France Info)

Considérée avec scepticisme par l’OMS, l’annonce d’un vaccin russe contre le coronavirus « s’inscrit d’abord dans des considérations de politique intérieure », estime, sur franceinfo, Florent Parmentier, spécialiste de la Russie et secrétaire général du CEVIPOF-Sciences Po. Avec cette annonce, le président russe « prend un certain nombre d’acteurs internationaux à contrepied » et affiche sa volonté « de devenir une redevenir une puissance scientifique respectée ».

franceinfo : faut-il se réjouir de l’annonce de Vladimir Poutine ou s’inquiéter de ce qui ressemble à une course à qui dégaine le premier son vaccin?

Florent Parmentier : Ce qui est certain, c’est que la vaccination était un sujet social, politique, on voit que c’est aussi un sujet géopolitique. D’abord parce que c’est le président Poutine lui-même qui, dans son allocution, fait référence à Spoutnik, cela rappelle que la Russie a une volonté de redevenir une puissance scientifique respectée. Et puis aussi géopolitique parce que l’institut Gamaleïa, qui porte ce projet dépend de financement du fonds souverain russe, c’est à dire de la puissance publique russe. Faut-il s’en inquiéter ? Cette annonce s’inscrit d’abord dans des considérations de politique intérieure.

Depuis plusieurs semaines maintenant à Khabarovsk, dans l’extrême-orient russe, il y a un certain nombre de manifestations qui ont lieu et le pouvoir central voit un moyen, finalement, de redorer son blason et en quelque sorte de montrer que la Russie est présente dans cette crise.

On a eu d’ailleurs cette présence russe tout à fait notable au moment où, en mars dernier, l’Italie était en grande difficulté, où l’aide européenne n’était pas encore visible. On a eu une présence russe avec des livraisons de masques, de produits, etc.

Peut-considérer que cette annonce de Vladimir Poutine est un coup politique ou un coup de poker ?

Il est certain qu’il prend un certain nombre d’acteurs internationaux à contre-pied. Il y a une dizaine de jours, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé disait qu’il n’y aurait peut-être jamais de vaccin. On sait par ailleurs que le président américain souhaitait sortir son vaccin peu avant le 3 novembre prochain, peu avant les élections présidentielles. On sait aussi que l’Institut Pasteur, l’Université d’Oxford, un certain nombre d’acteurs allemands ou chinois sont aussi extrêmement présents dans cette recherche-là. Il y a quelque chose qui est de l’ordre du symbolique de planter le drapeau sur un nouveau continent et de voir ensuite comment tout cela pourrait se revendiquer, si cette victoire revendiquée est véritable.

Cette stratégie risquée ne pourrait-elle pas se retourner contre Vladimir Poutine ?

Effectivement. Soit il est sûr de son vaccin et le vaccin est un succès. La question qui se posera pour lui est de savoir vers qui l’exporter, à qui l’offrir, comment maximiser en quelque sorte l’influence de la Russie par rapport à ce succès qui sera à la fois un succès de prestige, mais également un succès avec des retombées économiques. Ça peut aussi être un effet d’annonce, dans ce cas on aura un certain nombre d’effets secondaires qui seront liés à ce vaccin. Ça peut enfin être un résultat d’apprenti sorcier et le résultat serait catastrophique.

En choisissant le nom « Spoutnik », du nom du tout premier objet envoyé dans l’espace par l’espèce humaine et en l’occurrence par l’Union soviétique, Vladimir Poutine a-t-il l’objectif de flatter le sentiment patriotique, notamment le sentiment de fierté de cette époque de l’URSS ?

Ce qui est certain, c’est que la conquête spatiale a existé dans la littérature russe dès le XIXe siècle. Vous avez un certain nombre d’auteurs qui se projettent un peu comme l’avait fait chez nous Jules Verne. Il y a eu ce mythe effectivement de la conquête spatiale qui correspond au 19e siècle, à un rythme d’accroissement de l’espace russe extrêmement important.

Je pense qu’il y a quelque chose qui est de l’ordre de flatter l’ego national, et de rappeler que la Russie a été une puissance scientifique et militaire également.

Si elle a été une puissance militaire, c’est aussi avec les investissements qu’elle a pu faire et c’est aussi l’occasion de valider l’idée selon laquelle un certain nombre d’initiatives, comme celle d’un vaccin, doivent être soutenues par un État central puissant tel que l’imagine Vladimir Poutine.