La guerre Arménie-Azerbaïdjan selon S.E. Pierre ANDRIEU

Pierre ANDRIEU

Entré au Quai d’Orsay en 1980 en passant le concours du Cadre Orient avec le russe et le chinois, Pierre Andrieu a eu une carrière diplomatique centrée sur l’Europe de l’est (Bulgarie) et nordique (Suède et Finlande), la Russie (Conseiller politique puis Conseiller culturel et de coopération auprès de l’Ambassade de France à Moscou) et la CEI (Ambassadeur au Tadjikistan et en Moldavie, co-président du groupe de Minsk chargé, dans le cadre de l’OSCE, du règlement du conflit du Haut-Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan). Il a également occupé la fonction d’Ambassadeur pour le Partenariat oriental et la Mer Noire. A l’Administration centrale, Pierre Andrieu a suivi les dossiers de la Chine et de Hong-Kong à la Direction d’Asie et d’Océanie puis a occupé le fonction de Sous-directeur de l’Europe occidentale, nordique et balte à la Direction de l’Union européenne. Il s’est également occupé de diplomatie économique comme Ambassadeur pour les régions de Champagne-Ardennes et de Lorraine et adjoint de M. Jean-Pierre Chevènement, Représentant spécial du gouvernement pour la Russie. Pierre Andrieu a été auditeur de la 65ème session nationale « politique de défense » de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN). Depuis six ans Pierre Andrieu enseigne la politique étrangère de la Russie et les relations russo-chinoises à Sciences Po Paris (PSIA, campus anglo-américain de Reims et européen de Nancy). Il a également donné des cours sur les défis de l’UE au MGIMO à Moscou. Après avoir travaillé dans l’intelligence économique avec « Entreprise & Diplomatie » (groupe ADIT), Pierre Andrieu est actuellement Senior Adviser auprès de Schneider Group, compagnie allemande implantée en Russie et en CEI, spécialisée dans l’accompagnement des sociétés européennes et françaises sur ces marchés. Il vient de publier sur Diploweb « Russie-Chine : des relations ambivalentes »

EAP : comment considérez-vous le conflit armé actuel entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan : est-ce le retour d’une guerre archaïque héritée de l’URSS? une nouvelle donne stratégique en construction dans le Caucase?

Pierre ANDRIEU : le conflit armé est la prolongation d’un conflit qui date de l’URSS, et même d’avant. Selon la politique soviétique des nationalités, théorisée par Staline dès avant la Revolution de 1917 (un peuple, une territoire, une langue), une région autonome du Haut-Karabagh avait été créée et, bien que déjà peuplée en majorité d’Arméniens, attribuée à la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan et non pas à la RSS d’Arménie, pour des raisons peu claires. La racine du conflit actuel réside dans cette répartition arbitraire des territoires.

La nouvelle donne apparue maintenant semble être le soutien direct, massif et armé de la Turquie, pourtant membre du groupe de Minsk, à l’Azerbaïdjan. De ce fait, l’Arménie refuse que la Turquie fasse partie des co-présidents du groupe de Minsk. Le groupe de Minsk, composé de 13 pays, dont les deux protagonistes, a été constitué en 1992 par l’OSCE afin de trouver une issue pacifique à la guerre arméno-azerbaïdjanaise. Celle-ci s’était terminée en 1994 par par un cessez-le-feu consacrant l’occupation par l’Arménie non seulement de la région autonome mais aussi de sept districts azerbaïdjanais n’ayant jamais fait partie de celle-ci. Le groupe de Minsk est le seul format disposant du mandat de négociation de l’OSCE avec le soutien de la communauté internationale (ONU, UE) …

EAP : les facteurs confessionnels sont-ils selon vous essentiels dans ce conflit entre Arménie chrétienne et Azerbaïdjan musulman?

Pierre ANDRIEU : plutôt que des facteurs confessionnels (les deux Républiques sont laïques), c’est le choc entre deux forts nationalismes qui explique l’intensité et la virulence de ce conflit vieux de plus d’un siècle. Les Arméniens considèrent les Azerbaïdjanais comme les continuateurs des auteurs du génocide de 1905 alors que les Azerbaïdjanais voient les Arméniens comme des usurpateurs de territoires qu’ils considèrent historiquement comme relevant de leur souveraineté.

En outre, dans ce conflit, deux principes du droit international s’opposent de manière irréconciliable, celui de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues et celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

EAP : la Russie et la Turquie sont-elles engagées dans une guerre par procuration en Libye, dans le Caucase et en Syrie?

Pierre ANDRIEU : c’est précisément ce que la Russie, de concert avec les deux autres co-présidents du groupe de Minsk (France et Etats-Unis), souhaiteraient éviter car le conflit arméno-azerbaïdjanais, déjà tellement difficile à résoudre, pourrait, en s’internationalisant, échapper totalement aux efforts de négociation menés par le groupe de Minsk et avoir de graves conséquences pour la sécurité régionale et au-delà.

EAP : quelles initiatives pourraient prendre le groupe de Minsk pour trouver un cessez-le-feu?

Pierre ANDRIEU : le groupe de Minsk, et particulièrement ses trois co-présidents, poursuivent depuis de longues années leurs efforts pour rapprocher les positions des deux parties en leur proposant des solutions diplomatiques (« les cinq principes de Madrid » acceptés en principe par les deux parties) et en encourageant leurs dirigeants à se rencontrer aussi souvent que possible afin de poursuivre le dialogue.

Ainsi la Russie a organisé plusieurs Sommets entre les présidents des deux pays, il en est de même des Etats-Unis et de la France (Sommet à Rambouillet en 2007 et Sommet de l’Elysée en 2014), mais également de la Suisse.

Mais au final tout dépend de la bonne volonté des dirigeants arméniens et azerbaïdjanais. Les co-présidents les ont toujours appelés à faire preuve de courage politique et de cesser d’instrumentaliser ce conflit souvent pour des raisons de politique intérieure. Ils doivent rejeter tout discours agressif et guerrier et préparer leurs populations respectives à la paix.

Une solution militaire est impossible, seules des négociations conduites de bonne foi et doublées d’une réelle volonté politique pourraient aboutir à une solution satisfaisante. Les grandes puissances, et notamment les trois pays co-présidents du groupe de Minsk, doivent s’investir encore davantage dans leurs efforts unifiés pour amener les protagonistes à la table de négociation.

Les dossiers humanitaires comme la libération de prisonniers, l’identification des restes des soldats disparus sur les champs de bataille qu’avait commencée à engager la Croix Rouge internationale, doivent également être repris activement de façon à surmonter la grande défiance qui règne des deux côtés.