En 2003, le milliardaire Russe Mikhail Khodorkovsky tombait en disgrace, quels en étaient les raisons et
quel a été l’impact sur l’économie de la déroute de Ioukos ?
Florent Parmentier : En se replaçant dans le contexte de l’époque, il faut voir que nous ne sommes que 12 ans après la chute de l’URSS. La Russie doit donc trouver une voie spécifique de développement, tant sur le plan politique (quel régime ?), économique (quel régime d’accumulation ?) que géopolitique (quelle place stratégique pour la Russie dans le concert international ?).
La privatisation de l’économie ne s’est pas du tout prévue comme le prévoyait le « plan Chataline », qui imaginait une transition vers l’économie de marché en 500 jours. La période est marquée par une contraction des richesses, difficilement évitables, et la création de grandes fortunes proches du pouvoir, qui sont appelés « les oligarques ». Alors que Eltsine connaît un taux de confiance à un chiffre en janvier 1996, il réussit l’exploit d’obtenir un second mandat, de manière douteuse, et en s’appuyant sur un certain nombre de ces oligarques.
Mikhaïl Khodorkovski est l’un des plus brillants d’entre eux, ne se contentant pas de piller des ressources (hydrocarbures, minerais, etc.), mais développant une entreprise, Ioukos, prête à se confronter aux géants internationaux. Après tout, en 2003, on trouve deux entreprises du secteur de l’énergie (Exxon Mobil, Chevron Texaco) et aucune entreprise tech moderne parmi les 10 plus grandes entreprises du monde !
Choisissant un modèle de développement différent de celui qu’envisage Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 2000, l’épreuve de force qui s’engage tourne à l’avantage du Président russe, avec l’assentiment de la population, qui voit d’un bon œil la chute de l’un de ces nouveaux riches semblant s’affranchir d’une certaine forme de décence et des règles communes. C’est une décision politique, mais qui a eu un impact économique certain : refroidir les investisseurs étrangers, qui se disent qu’en dehors de règles du jeu claires, les risques sont élevés dans des secteurs stratégiques.
Ioukos est liquidée en 2006 et disparaît définitivement en 2007 mais la Russie a été condamnée à payer
50 milliards d’euros aux actionnaires en dédommagement. Après cet interventionnisme de l’État russe
dans l’économie, les investisseurs ont-ils été effrayés ?
Florent Parmentier : La disparition de Ioukos est davantage un message envers l’intérieur qu’envers l’extérieur. En clair, les dirigeants russes ont fait le pari que s’en prendre à l’oligarque le plus puissant, c’était envoyé le message que la déliquescence du centre était terminée. Qu’il ne pouvait exister de boyards totalement indépendants de l’Etat, capables de mener leurs propres politiques étrangères.
Ioukos est une opération politique, qui vise à l’affirmation du centre, en dépit des conséquences économiques. La Russie s’est historiquement constituée comme une « puissance pauvre » (George Sokolov), dont les capitaux ont pu manquer pour développer un espace immense et sous-peuplé par endroit. Le recours à l’Etat est donc justifié dès le XIXe siècle. La tentative libérale des années 1990, qui a mal tourné, a reconduit la Russie vers un modèle plus régulé, voire de nationalisme des ressources.
Résultat : certains marchés étaient trop incertains pour y investir ; c’est le cas du secteur internet, où la Russie dispose d’un
écosystème propre, plus protégé finalement ; en matière stratégique (les ressources énergétiques particulièrement), rien ne peut se faire en dehors d’une acceptation par l’Etat ; et sur d’autres marchés en revanche, les investisseurs ont pu venir en Russie, un marché très dynamique au cours des années 2000, moins après. L’impact a été donc différencié selon les secteurs et les périodes – la montée en puissance économique de la Chine et le jeu des sanctions modifiant les données du problème économique russe.

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