La Serbie se raccorde au gazoduc russe Turkish Stream (Maxime BOSKOV)

La « géopolitique des tubes » continuera d’être très active en Europe en 2021.

Le 1er janvier 2021, le président Vucic s’est rendu dans le nord de la Serbie pour inaugurer un nouveau tronçon du gazoduc Turkstream dénommé « Tesla pipeline« . Ce projet, acté en 2016 par les présidents Poutine et Erdogan, est vivement critiqué par le département d’Etat américain qui soutenait avec l’Union européenne le projet Nabucco. Quel est l’intérêt de la Serbie d’épauler Moscou alors qu’elle est candidate à l’UE ? N’est-ce comme le dit Mike Pompeo qu’un outil d’influence au bénéfice du Kremlin ?

L’engagement de la Serbie dans ce projet d’envergure répond à trois objectifs.

Maxime Boskov, ancien collaborateur à l’Assemblée Nationale, est responsable ans de l’antenne International Security & Defense de l’association Sorbonne ONU. il produit le podcast de géopolitique de l’association Sorbonne pour l’Organisation des Nations-unies : SONU à l’antenne

Premier objectif: répondre aux besoins de l’économie serbe

Au lendemain de l’explosion de la Yougoslavie, la Serbie a fait le choix de son indépendance énergétique en fondant sa production électrique sur les filières houillère (65%) et hydroélectrique (30%). Cependant, la Serbie cherche à diversifier son mix énergétique du fait de l’augmentation de sa consommation, de la perspective d’une revente à profit et des considérations écologiques nouvelles. Bien que développant ses filières photovoltaïques et éoliennes l’instabilité de la production de ces sources pousse la Serbie à faire le choix d’une autre.

Proche de la Russie culturellement, la Serbie s’est naturellement tournée vers le gaz qui est deux fois moins polluant que le charbon. Cependant la volonté de sécurité énergétique couplée au besoin d’approvisionnement n’est pas le problème de la seule Serbie. Il concerne toute l’Europe balkanique qui voit désormais le gaz russe arriver grâce au gazoduc Turkstream. La décision serbe engage l’aménagement de tout le Sud Est de l’Europe et a un impact géopolitique majeur.

Deuxième objectif: ménager les puissances

Le géopolitique russe du gaz n’est pas une nouveauté. Lorsque le projet South Stream fut avorté suite à la décision bulgare (poussée par l’UE) de refuser le passage du gazoduc sur son territoire, Gazprom réorienta son projet en définissant un nouveau tracé. Cette redéfinition montre l’importance de l’objectif final pour la Russie qui accepta même de coopérer avec la Turquie pour réaliser celui-ci.

Pour l’Europe, Turkstream est problématique par la possible dépendance qu’il pourrait générer à l’égard de deux puissances rivales : la Russie et la Turquie. En raison de son potentiel d’approvisionnement gazier il peut prendre une place considérable dans le mix énergétique de certains pays (au-delà de la seule Serbie) si aucune alternative n’est envisagée par les bénéficiaires. Ces bénéficiaires sont des membres actuels ou futurs de l’UE. Ainsi, s’ils sont fragilisés, toute l’Union le sera à l’image de ce qui se passa lors des crises ukrainiennes. Mais au-delà du risque imputable à la seule Russie, le fait que le gazoduc passe par la Turquie est également problématique. Le vecteur turc pourrait être défaillant et mettre à mal l’approvisionnement gazier de l’Europe balkanique d’une part par ses différends propres avec la Russie. Cette défaillance pourrait venir des tensions russo-turques mais aussi d’un « chantage au gaz » à l’image de la politique turque vis-à-vis des migrants. Compte-tenu des provocations du président turc et des fortes tensions avec la Grèce ou la France, ces hypothèses doivent être sérieusement pris en compte.

Cérémonie d’inauguration de Turkish Stream début 2020

Troisième objectif: maintenir la pression sur l’UE dans le processus de candidature

L’UE bien qu’elle ait gagné la bataille South Stream semble avoir perdu sur le dossier Turkstream. Cependant est-ce que tout est joué pour les intérêts européens dans la région?

Considérant que la Serbie se prétend l’héritières de la Yougoslavie, la mémoire de Tito sur le non-alignement reste prégnante. Ainsi, l’hypothèse d’une sécurité énergétique fondée uniquement sur du gaz importé depuis la Russie est à écarter. De surcroît le fait que le gaz passe par la Turquie conforte une probable méfiance de Belgrade. Dès lors, l’UE n’a pas complètement perdu le marché balkanique. Pour l’emporter deux éléments seront déterminants d’abord la volonté serbe de rejoindre l’Union. Ensuite la crédibilité de notre production énergétique et sa stabilité. 

Des choix politiques discutables et une gestion tout aussi critiquable des moyens de production européens mettent à mal notre crédibilité. A titre d’exemple les deux moteurs de l’Europe que sont la France et l’Allemagne prévoient pour l’un des coupures d’électricité et pour l’autre de rouvrir des centrales à charbon. Dès lors, le pragmatisme doit à nouveau l’emporter sur une certaine idéologie. « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités », aujourd’hui les seules énergies renouvelables ne permettent pas de garantir en permanence nos besoins énergétiques. Si l’on souhaite garder pied dans la bataille énergétique, préserver notre indépendance en ce domaine et respecter nos engagements climatiques nous devons utiliser la technologie décarbonnée que nous avons : le nucléaire.

En continuant à participer au programme Turkish Stream, la Serbie ménage habilement ses intérêts au confluent de l’inscription dans l’espace européen, de l’appartenance au monde slave et de son voisinage avec la Turquie.