André Loesekrug-Pietri est directeur de la Joint-European Disruptive Initiative.
@EuroJedi et @andrepietri
Il est ironique qu’au même moment où Facebook tente d’imposer nouvelles règles d’utilisation à son application WhatsApp, racheté en 2014, pour fusionner des données des deux plateformes, le réseau social américain introduisait la possibilité d’avoir des « messages éphémères » dans sa dernière mise à jour. Souffler le chaud et le froid sur la confidentialité des données de ses utilisateurs semblent être un classique pour Facebook : en 2019, Mark Zuckerberg présentait à grand renfort de communication un plan pour transformer Facebook en une plate-forme axée sur la confidentialité; aujourd’hui, rendre la plate-forme «privée» consiste à exploiter encore plus de données, en croisant les données des utilisateurs WhatsApp avec celles Facebook et les autres marques de cette entreprise tentaculaire.
C’est un geste arrogant, mais sans surprise. Facebook est dans la ligne de mire de toutes les autorités de la concurrence. Le groupe sait qu’il risque d’ être démantelé- un remède ancien mais efficace, comme l’a prouvé le démembrement de la Standard Oil il y a un siècle. Mais pour rendre une telle scission impossible (entre Facebook et Instagram, par exemple), Facebook accélère son plan de fusion de toutes ses applications. Il est désormais obligatoire pour les utilisateurs d’Oculus Rift (le fabricant de réalité virtuelle propriété de Facebook) d’avoir un compte Facebook; bientôt, les utilisateurs de WhatsApp verront leurs données partagées avec Facebook, sans leur consentement explicite, même s’ils ne possèdent pas de compte Facebook.
Facebook ne donnait que trois semaines jusqu’au 8 février aux utilisateurs pour accepter ces conditions – avant une marche arrière spectaculaire. Ce délai très court est sans précédent et témoigne d’une arrogance sans limite, à la fois envers les utilisateurs et les régulateurs. Leur présenter un tel fait accompli montre que Facebook n’hésite pas à abuser de sa position monopolistique. Une véritable superpuissance numérique avec 3,2 milliards d’utilisateurs par mois sur ses 4 plateformes principales : Facebook, Whatsapp, Instagram et Messenger.
Aux utilisateurs de WhatsApp fuyant en masse vers Signal ou Telegram, Facebook essaie de montrer patte blanche : mais est-il possible de faire confiance à une entreprise connue pour avoir dû payer des amendes aux instances de réglementation du monde entier – de la Corée du Sud au Brésil, du Royaume-Uni aux États-Unis? Sur le marché européen, Facebook affirme que cette mise à jour n’affectera pas les utilisateurs de l’UE. Mais la présence mondiale de WhatsApp fait que les utilisateurs de l’UE ne seraient pas aussi aussi protégés que Facebook le prétende : étant donné que les Européens partagent des informations avec des utilisateurs de WhatsApp hors-UE non soumis aux mêmes réglementations, Facebook pourrait ainsi indirectement collecter des données européennes. Un tel vide juridique ne serait pas une première pour Facebook.
La conclusion est claire : aux utilisateurs, il n’y a aucune garantie. Aux régulateurs: nemo auditor propriam turpitudinem allegans – personne ne peut être écouté pour invoquer sa propre turpitude. Malheureusement, nombreux sont les politiques qui utilisent Facebook sans vraiment comprendre comment réglementer les réseaux sociaux. Pour chaque Letitia James (le procureur général de New York qui a annoncé un procès antitrust contre Facebook, soutenu par pas moins de 48 autres États américains), vous avez un Trump qui tweete – ou tweetait, de fait – sans aucunement s’attaquer aux BigTech. Nous avons besoin de femmes et d’hommes politiques avertis en matière de numérique, tout en étant moins dépendants des réseaux sociaux. Et c’est pourquoi à la Joint European Disruptive Initiative, la Darpa européenne, nous serons toujours là pour soutenir les Letitia James de l’Europe: le commissaire Thierry Breton, les parlementaires européens Nicola Beer, Damian Boeselager, Eva Maydell ou Guy Verhofstadt, des députés d’Etats membres comme Emilie Cariou, Eric Bothorel, Laure de la Raudière ou Thomas Sattelberger, ou encore l’avocat activiste Max Schrems. Démocrates de tous les pays, unissez-vous !