Cynisme ou suivisme ?
La rivalité sino-américaine vient de se trouver un nouveau domaine : les pistes de ski. L’administration Biden vient en effet de décider le « boycott diplomatique » des 24ème Jeux Olympiques (JO) d’hiver qui s’ouvriront le 4 février prochain à Pékin. Autrement dit les athlètes américains participeront mais pas les politiques. Cette décision fortement symbolique veut dénoncer sur la scène internationale la répression de masse réalisée par Pékin dans la province musulmane du Xinjiang.
Comme c’est désormais le cas sur bien des dossiers internationaux, les Européens sont de facto sommés de prendre parti : doivent-ils imiter les Etats-Unis au risque du suivisme ? Ou suivre leur propre voie au risque du cynisme ?
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Blessure narcissique pour M. Xi
En décidant ce boycott, les Etats-Unis engrangent de nombreux gains sans acquitter de coûts prohibitifs. Sur la scène politique intérieure, l’administration Biden voit déjà son geste salué par la gauche du Parti démocrate au nom des droits de l’homme mais aussi par des hiérarques républicains partisans de la manière forte face à la Chine. Comme l’ancien Secrétaire d’État de l’administration Trump, Mike Pompeo appelle à un boycott sportif complet, comme pour les JO de Moscou en 1989, Joe Biden peut même se poser en modéré. Fidélité à l’ADN démocrate et élan bipartisan, sans pour autant priver le public américain de ses athlètes, de ses médailles et donc d’une fierté nationale. Un grand chelem politique en somme.
Dans le domaine de la politique internationale, l’administration Biden enregistre d’ores et déjà plusieurs succès. Elle manifeste la supériorité morale des Etats-Unis, son moral highground, en reprenant le flambeau de la liberté délaissé par Donald Trump. Elle rassure à peu de frais les alliés japonais, coréens ou encore philippins. Mais surtout, elle inflige une terrible blessure narcissique à la direction chinoise au moment où celle -cise renforce sur tous les plans : sanitaires, militaires, médiatiques, économiques, politiques et idéologiques. Car, vus du Parti communiste chinois, ces Jeux de 2022 doivent compléter le succès des JO d’été de 2008. A l’époque, Pékin avait étonné le monde par sa puissance, sa richesse, ses capacités d’organisation. 2008 consacrait le retour de la Chine au premier plan. 2022 devait lui conférer la toute première place. Devant les Etats-Unis.
Le boycott diplomatique laisse planer la possibilité d’un boycott sportif de dernière minute – et ternit le succès d’image annoncé de la Chine.
La gigantomachie du 21ème siècle
Ce boycotte place une fois encore les Européens devant le fait accompli. Les voilà sommés de prendre parti dans l’affrontement entre les géants américain et chinois pour le reste du temps. Dans un des domaines sportifs où l’Europe conserve encore une belle place au palmarès mondial.
Cette décision n’est pas sans évoquer – dans sa mécanique – le retrait américain d’Afghanistan l’été dernier – sur un sujet moins grave évidemment. Décidé sans concertation avec les alliés, régi par des priorités de politique intérieure et imposé sur la scène médiatique mondiale, cette initiative place les Européens dans une situation intenable.
Soit ils se rangent sous la bannière américaine au nom des principes mais ils se privent des marges d’action pour défendre leurs propres intérêts dans leurs relations avec la Chine. La Chine les englobera donc dans les contre-sanctions qu’elle ne manquera pas d’infliger aux Occidentaux en représaille.
Soit ils refusent le boycott et justifient alors plusieurs des critiques qui leurs sont adressés : comme le sport de haut niveau n’est pas une compétence de l’Union, ils sont condamnés à rester au second rang – du boycott comme des classements sportifs ; comme ils sont en rivalité entre eux en matière sportive comme en matière commerciale face à la Chine, ils sont voués à aborder la question du boycott en ordre dispersé ; et comme ils sont en perpétuel concours d’atlantisme entre eux, il se diviseront une nouvelle fois sur le degré d’aligement sur Washington. Alliés infidèles, cyniques ou encore divisés, les Européens risquent encore une fois leur réputation dans une décision qu’ils n’ont pas prise.
Le softpower européen en question
Dans tous les cas de figures, face à ce boycott, les Européens sont condamnés à endosser le mauvais rôle. Car la décision de la présidence Biden lance un véritable concours de vertu morale et de softpower dont les Etats-Unis ne peuvent que sortir vainqueur puisqu’ils ont décidé le boycott les premiers. Qu’il est difficile pour les Européens, de tenir une ligne internationale autonome, face à la Chine tout particulièrement. En matière de softpower sportif aussi, les Européens doivent apprendre à skier hors piste.