URSS, le retour? Pas si vite! (BRET-Les Echos)

La Russie de Poutine réinvestit plusieurs anciennes Républiques socialistes, 30 ans après la chute de l’URSS. Dans ma tribune aux Echos d’expliquer pourquoi le fantôme de l’Union soviétique, loin de resusciter, a toutes les chances de rester à l’état spectral.

Retrouvez mon texte sur le site des Echos.

Projection de troupes au Kazakhstan en 2022, interposition militaire entre Arménie et Azerbaïdjan en 2021, relance de l’union avec la Biélorussie en 2020 ou encore déstabilisation de l’Ukraine depuis 2014 : la Fédération de Russie réinvestit militairement, économiquement et militairement plusieurs anciennes Républiques Socialistes Soviétiques (RSS). Trente années exactement après la dissolution de l’URSS, le 25 décembre 1991, la nostalgie de la puissance se mue-t-elle en projet d’empire ?

Frissons de Guerre Froide

Depuis une décennie, les relations entre la Russie et les Occidentaux ont repris la physionomie d’un affrontement larvé, multiforme et indirect mais persistant. En un mot, une « Guerre Froide ». Les tentatives de coopération au sein du partenariat avec l’Union européenne (1994) et dans le Conseil OTAN-Russie (2002) ne séduisent plus Moscou. La Russie a repris l’initiative dans ses anciennes RSS depuis la guerre avec la Géorgie en 2008. Les tensions militaires sont soigneusement entretenues sur tous les théâtres : en Baltique via l’enclave de Kaliningrad ; en Mer Noire à partir de la Crimée annexée en 2014 ; dans le Caucase grâce à sa médiation après le nouveau conflit du Haut Karabakh en 2020.

Lorsque l’OTAN s’est étendue à d’anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie, Tchéquie, etc.) mais aussi à d’anciennes RSS (les trois États baltes), la Russie a reconstruit son complexe militaro-industriel, a rénové ses réseaux d’alliance, a repensé son softpower médiatique et ses tactiques : qu’elle mène des « guerres hybrides » selon la terminologie forgée par l’OTAN ou qu’elle suive la « doctrine Guerassimov » selon l’expression en vogue à Moscou, la Russie essaie aujourd’hui de reprendre pied militairement, économiquement, diplomatiquement et médiatiquement dans ce qui reste de l’espace post-soviétique.

La nostalgie de l’URSS ne se cache pas aujourd’hui en Russie : le président russe déplore sa disparition comme une « tragédie », une partie des élites politiques regrette sa grandeur et les célébrations historiques lui font une grande place dans la mémoire collective. Exploitant les retraits américains d’Asie centrale et prenant de vitesse une Union européenne encore maldroite géopolitiquement, la Russie redevient aujourd’hui la puissance militaire de référence dans les espaces baltiques, caucasiens et d’Asie centrale.

Les impasses d’une résurrection

Les frissons de Guerre Froide éprouvés depuis dix ans annoncent-ils un hiver impérial en Eurasie ? Le fantôme de l’URSS a pourtant toutes les chances de rester à l’état spectral. Pour des raisons endogènes d’abord : la Fédération de Russie n’a pas les ressources économiques, militaires et politiques de l’URSS. Économie rentière dépendante des exportations d’hydrocarbures, de minerais et de technologies militaires, la Russie ne maîtrise pas son destin économique. Elle est exposée aux chocs macroéconomiques comme la chute des cours mondiaux ou les sanctions. Son déclin démographique constant réduit sa croissance potentielle. Et son économie administrée décourage les relais de croissance privés. Régime autoritaire et strictement nationaliste, elle n’a plus la capacité de projection idéologique mondiale qu’avait l’URSS. Autrement dit, sans le marxisme léninisme, l’économie planifiée et la décolonisation, la Russie n’est plus capable de parler au monde entier comme dans les années 1960-70.

La résurrection de l’URSS en Eurasie butte également sur des raisons exogènes extrêmement puissantes : la puissance chinoise est le phénomène dominant en Eurasie. La République Populaire de Chine structure l’ancien espace soviétique par son projet de Nouvelles Routes de la Soie, par sa puissance militaire au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai et par son omniprésence commerciale. En outre, la Russie est concurrencée dans le Caucase et l’Asie centrale par la Turquie et même par l’Union européenne. Enfin, les régimes qui ont demandé le soutien militaire de la Russie veillent à contingenter les garnisons russes sur leurs territoires : leurs opinions publiques ne sont plus prêtes à accepter l’impérialisme – qu’il soit soviétique ou grand-russe.

Autrement dit, en Eurasie, la Russie n’est plus seule comme l’était l’URSS. Il y a loin des interventions militaires à la construction d’un empire.

L’avenir d’une illusion

Ces évidences géopolitiques ne dissipent pour autant pas le spectre de l’URSS – du moins dans les discours stratégiques. C’est que plusieurs acteurs internationaux ont intérêt à entretenir ce mythe.

La Russie évidemment d’abord : le mythe de l’URSS lui permet de laver aux yeux de sa population l’humiliation des années 1990, de faire oublier l’incapacité de l’économie russe à se diversifier et la faiblesse de son rayonnement international face aux nouvelles puissances. En Europe, cela permet à la Russie de poser au géant et de réduire l’Union européenne au statut de nain, au mépris des évidences économiques.

Paradoxalement, les administrations présidentielles américaines ont elles aussi un intérêt bien compris à nourrir les illusions de Guerre Froide avec une URSS en reconstruction. Elles rassurent les anciennes démocraties populaires (Pologne) et les anciennes RSS désormais dans l’OTAN tout en se désengageant des théâtres européens. Elles alimentent les rivalités latentes en Eurasie entre la Russie et la Chine en acceptant des réunions bilatérales russo-américaines comme celles qui se déroulent à Genève actuellement. Enfin, elles continuent à maintenir dans l’enfance les ambitions géopolitiques européennes en se posant comme protecteur contre l’ours oriental.

La Russie d’aujourd’hui présente de nombreux risques pour la sécurité en Europe. Mais la reconstruction de l’URSS n’en fait pas partie. Cette illusion a de beaux jours devant elle. Et ce sont les Européens qui en pâtissent. Le fantôme de l’URSS ne doit plus les effrayer : le danger est ailleurs.