Début janvier, alors que les diplomates américains et russes se réunissaient à Genève pour évoquer l’Ukraine et la sécurité européenne, les exigences de Moscou en faveur d’un gel de l’élargissement de l’OTAN en Europe ont suscité le malaise en Ukraine et en Géorgie, mais également en Suède et en Finlande. Depuis plusieurs années ces deux Etats, qui ont la neutralité comme pierre angulaire de leurs politiques extérieures, ont opéré un rapprochement avec les organisations internationales occidentales: adhésion à l’Union européenne en 1995 et au Partenariat pour la paix, programme de coopération de l’OTAN, en 1994.
Rejoindre l’OTAN? Une question posée dans un environnement sécuritaire dégradé
La dégradation récente de la sécurité en Europe orientale, notamment en Ukraine à la frontière de laquelle la Russie a concentré 100 000 militaires en décembre dernier, interroge la Suède et la Finlande quant à leur possible adhésion à l’OTAN. Sur l’échiquier politique à droite comme à gauche, les différents partis finlandais et suédois semblent s’accorder, à différents dégrées, sur la nécessité de rejoindre l’Alliance si la situation l’exigeait.
Autrefois tabou, ce débat est revenu sur le devant de la scène politique après 2014. En effet, lors de la Guerre froide, ces États nordiques avaient opté pour la neutralité e. Le concept de « finlandisation » qui émergeait de la politique du président finlandais Urho Kekkonen (1956-1982 cf. photo), soutenait que la coopération avec l’URSS valait mieux que la confrontation. La Finlande devait maintenir ses distances avec l’OTAN et les États-Unis – en refusant le Plan Marshall – et en reprenant des relations diplomatiques avec l’URSS – d’abord par le paiement des réparations de guerre – tout en résistant aux pressions soviétiques pour adhérer au Pacte de Varsovie.

Aujourd’hui, ces États doivent composer avec la dégradation des relations entre la communauté transatlantique et la Russie. C’est réellement l’année 2014 qui marque un virage stratégique dans la doctrine de Stockholm et de Helsinki vis-à-vis de Moscou. Helsinki dénonce le retour d’une Russie impérialiste tentant de rebâtir sa sphère d’influence en employant la force militaire pour servir ses objectifs stratégiques (guerre avec la Géorgie en 2008 et annexion de la Crimée en 2014).
En 2020, la Russie a accusé la Finlande d’avoir pratiqué un « génocide » en Carélie au cours de la Seconde Guerre mondiale. En outre, Helsinki déplore régulièrement les violations de son espace aérien par l’aviation militaire russe. La Suède, quant à elle, a dû faire face à plusieurs survols de son espace aérien par des aéronefs russes, ainsi qu’à des violations de son espace maritime par un sous-marin russe en 2014.
L’attitude provocatrice de la Russie a également conduit Helsinki et Stockholm a dopé leurs budgets militaires – une augmentation de +40% du budget de défense de 2020 à 2025 pour la Suède – et à pointer plus clairement l’origine de cette dégradation sécuritaire. À ce titre, Stockholm a relevé le niveau d’alerte de ses forces armées en particulier sur l’île de Götland, véritable « porte-avions de la Baltique » en raison de sa position stratégique (cf. carte). Stockholm a également dépoussiéré le concept de « défense totale », formant la population à des situations de guerre, utilisé pendant la Guerre froide.

La Finlande fait également la part belle à ses programmes d’armements Squadron 2020 et HX Fighter Program visant à acquérir des corvettes et des avions de combat. Ces derniers n’ont pas souffert des complications économiques dues à la pandémie de Covid-19 confirmant ainsi l’importance qu’accorde la Finlande à sa défense, notamment face à son voisin russe avec qui les relations ne sont pas au beau fixe. Le choix récent, en décembre 2021, de la Finlande de se procurer 64 avions F-35A confirme également la perspective de coopération avec les États-Unis et les États membres de l’OTAN aussi équipé de F-35 (dont la Norvège et le Danemark).
Préserver le « joker OTAN » dans leurs portefeuilles stratégiques
Même si la Finlande et la Suède ne sont pas membres de l’OTAN, elles ont développé une coopération avec l’organisation en s’appuyant sur le programme Partenariat pour la paix. Les deux États ont notamment participé à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) et à Resolute Support en Afghanistan ainsi qu’à la Mission d’entraînement des forces irakiennes (NMI). Aussi, Helsinki accueille depuis 2017 le centre d’excellence contre les menaces hybrides placé sous l’égide de l’OTAN et de l’UE. Par ailleurs, les deux États participent régulièrement à des exercices otaniens dans la région Baltique (BALTOPS, Saber Strike) et Arctique (Cold Response, Trident Juncture).

Ainsi, les deux États perçoivent les exigences du Kremlin, relatives à l’élargissement de l’Alliance, comme une atteinte directe à leur souveraineté. Ces derniers veulent garder la possibilité d’intégrer l’OTAN si la situation l’imposait, et ce, malgré les mises en garde du ministère russe des Affaires étrangères qui déclarait, en janvier 2022, que l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN « aurait de graves conséquences militaires et politiques qui nécessiteraient une réponse adéquate de la part de la Russie ».
Dans son discours du Nouvel An le Président finlandais, Sauli Niinistö du parti Kok (centre-droit) élu en 2012, déclarait que « la liberté de manœuvre et de choix de la Finlande inclut également la possibilité d’alignement militairement et de demander à devenir membre de l’OTAN, si nous en décidons ainsi ».
Lors de son discours de politique générale, suite à son élection en novembre 2021, la Première ministre suédoise, Magdalena Andersson (sociale-démocrate) était plus nuancée mais tout aussi catégorique déclarant que « La Suède ne demandera pas à devenir membre de l’OTAN » mais que « Le gouvernement défendra toujours le droit de la Suède à choisir sa propre ligne de politique de sécurité. Cela fait partie de l’ordre européen, qui n’est pas négociable ».
Même si les deux États nordiques veulent garder la possibilité de rejoindre l’Alliance dans leur boîte à outils diplomatique, leurs considérations sont différentes. Helsinki s’inquiète davantage du potentiel militaire de la Russie, avec qui elle partage une frontière terrestre de 1300 km, et partage le souvenir vivace de la guerre d’Hiver qui opposa l’URSS à la Finlande entre 1939 et 1940.
La Suède se montre davantage réservée sur cette option, préférant développer une coopération avec ses voisins nordiques (Danemark, Norvège) et baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) ainsi qu’avec les États-Unis et le Royaume-Uni (les deux États font d’ailleurs partis de la Joint Expeditionary Force, une force multinationale d’intervention, créée en 2014, dirigée par le Royaume-Uni). Stockholm cherche à éviter « de bousculer la stabilité régionale » par une telle action, comme le rappelait récemment le ministre de la Défense Peter Hultqvist, social-démocrate en poste depuis 2014.
Et maintenant…?
La stratégie de la Finlande et de Suède repose sur l’idée que rester en dehors de l’OTAN constitue un gage important pour leurs sécurités. En revanche, y adhérer pourrait conduire à des représailles russes. Leurs stratégies à moyen terme est d’approfondir sa coopération avec l’OTAN sans y poser sa candidature, mais sans y renoncer en cas d’agression. Il s’agit là d’un subtil équilibrage diplomatique et d’une coopération pragmatique afin de dissuader la Russie d’une attaque armée.
Dans le contexte actuel, si la crise russo-ukrainienne s’aggrave, cela conduira à (1) un renforcement significatif des forces de l’OTAN en Pologne et dans les États baltes et (2) amènera également la Finlande et la Suède à demander leur adhésion à l’OTAN. Ces deux points étant inacceptables pour la Russie, Moscou pourrait prendre le contrôle de GÖtland afin que l’OTAN rejette la demande d’adhésion de la Suède, car l’accepter conduirait immédiatement à une guerre avec la Russie. L’occupation de GÖtland empêcherait également le ravitaillement des États baltes isolerait les États baltes et consacrerait le verrouillage russe de la mer Baltique.
Ronan CORCORAN
En Master « Expertise des conflits armés » à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ronan Corcoran s’intéresse aux questions sécuritaires en Europe du Nord et en Europe orientale. À ce titre, il a travaillé pour les ambassades de France en Lettonie et en Pologne ainsi qu’à l’État-major des armées. @R_Corcoran