La première variable sur laquelle les événements de début janvier 2022 peuvent influer est la capacité du président Tokaïev à rester au pouvoir, successeur désigné par Nazarbaïev. Cette variable graduelle peut aller d’une quasi absence de changement d’équipe gouvernementale à un changement de président, en passant par un simple changement de gouvernement ou des modifications institutionnelles laissant davantage de place aux libertés individuelles et aux règles démocratiques. La seconde variable instrumentale déterminante est la relation du pays à la Russie, qui sera probablement renforcée à la faveur de l’intervention russe sur le sol kazakhstanais. Enfin, l’impact sur l’image du pays à l’international pourra jouer en faveur de la baisse des IDE, dont le pays est le premier bénéficiaire en Asie Centrale, hors Russie, avec près de 4 milliards de dollars en 2021[1].
Deux scénarios principaux et un scénario alternatif émergent alors de la combinaison de ces variables :
Scénario algérien : l’intervention de l’armée russe est considérée comme une ligne rouge par l’opinion publique kazakhe, conduisant au départ de l’équipe gouvernementale et à un changement des institutions
Si le contexte est bien différent entre Alger et Noursoultan, l’idée d’un mouvement populaire entrainant un changement d’institutions à la suite du règne d’un autocrate contraint de laisser les rênes du pouvoir est analogue. Dans ce scénario, le régime politique mis en place par Noursoultan ne survit pas à son éloignement des fonctions officielles, et a fortiori à son décès. Du fait du caractère autocratique du régime, une forte personnalité est nécessaire à l’adhésion de la population, ce que ne permettent pas la froideur et l’inexpressivité du président Tokaïev. Les Kazakhstanais veulent que la fin du règne sans partage de Nazarbaïev se matérialise par un changement profond des institutions laissant davantage de place aux libertés individuelles. La Russie y voit une perte d’influence régionale et pèse sur le processus électif qui sera mis en place, pour conserver l’assentiment de la classe dirigeante. La position des Russes kazakhstanais, deuxième groupe ethnique du pays, sera déterminante dans le succès ou l’échec de la mise en place des nouvelles institutions politiques.
Un scénario biélorusse : la Russie sort largement renforcée et la contestation n’a aucun impact sur les institutions kazakhstanaises
La Russie a prouvé son utilité au président Tokaïev, qui comprend l’intérêt d’un retour en force des liens économiques avec la fédération. D’une part, le soutien militaire du Kremlin et la répression sanglante des manifestations met ainsi fin à la contestation. D’autre part, le renforcement des liens économiques entre les deux pays permet de lisser la hausse des prix de l’énergie, et contente la revendication initiale des manifestants kazakhs. Le clivage social et culturel entre Russes et Kazakhs est exacerbé par cette conclusion, le rapport de force alors en faveur des Kazakhs s’inverse progressivement.
Un scénario ukrainien : l’intervention militaire russe s’inscrit dans la durée, remettant en cause l’intégrité et l’unité territoriale du Kazakhstan
Ce scénario alternatif nait des tensions entre Kazakhs et Russes explosant en conflit territorial ouvert. À la manière du Donbass ukrainien, l’armée russe permettrait aux Russes kazakhstanais de contrôler le Nord du Pays, où ils sont majoritaires. Les grands centres économiques du Sud, d’où est partie la contestation et à majorité Kazakhe, feraient sécession et s’affirmeraient comme Etat Nation Kazakh. Le clivage entre les deux peuples majoritaires, que n’est pas parvenu à atténuer Nazarbaïev, trouve ici son paroxysme en prenant une dimension territoriale. Le Kazakhstan devient alors un terrain d’affrontement indirect entre Russie soutenant le Nord et Turquie soutenant le Sud musulman.
[1] World Investment Report 2021, United Nations Conference on Trade and Development, 2021, New York https://unctad.org/system/files/official-document/wir2021_en.pdf?lien_externe_oui=Oui