Après l’invasion de l’Ukraine, la Moldavie dans le viseur de la Russie (PARMENTIER – JDD)

La vidéo, diffusée mardi par la télévision d’État biélorusse, est passée relativement inaperçue. On y voit pourtant le dictateur Alexandre Loukachenko, fidèle allié de Vladimir Poutine, discuter avec son conseil de sécurité et pointer d’une baguette une carte détaillant les fronts ouverts par la Russie en Ukraine. Sur la carte, on comprend que l’étape suivante est une invasion de l’État voisin : la Moldavie. Un scénario catastrophe redouté par les autorités et la population moldaves, mais auquel tous se préparent.

Depuis dix jours, le pays de 2,6 millions d’habitants a fermé son espace aérien et déclaré l’état d’urgence. « Les relais d’influence prorusses comme le média Sputnik ont également été débranchés », souligne Florent Parmentier, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) et coauteur de La Moldavie à la croisée des mondes (Éditions Non Lieu).

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était en visite jeudi à Chisinau pour apporter son « soutien » aux autorités, en rappelant que le pays était « au centre de [ses] préoccupations ». Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, s’y est également rendu hier. « Il n’y a pas de panique sur place, rapporte toutefois Dionis Cenusa, politologue et doctorant à l’université Justus-Liebig de Giessen (Allemagne). Les autorités gardent la situation sous contrôle. Du moins pour le moment. »

Un conflit gelé qui pourrait dégénérer
Si la Moldavie se sent dans le viseur, c’est parce que les caractéristiques partagées avec l’Ukraine sont multiples : l’ancienne République soviétique, qui n’est membre ni de l’Union européenne ni de l’Otan, est résolument tournée vers l’Occident, avec à sa tête une jeune présidente proeuropéenne assumée, Maia Sandu.

Comme chez son voisin ukrainien, avec qui le pays partage près de 1 000 kilomètres de frontière, une minorité séparatiste prorusse contrôle une partie du territoire, la région de Transnistrie, située dans l’Est. « La 14e armée russe y est présente, rappelle Florent Parmentier. Pourrait-elle devenir partie prenante du conflit ukrainien, alors que la ville d’Odessa, à une quarantaine de kilomètres de la frontière, est dans la ligne de mire des autorités russes ? » À moins qu’il ne s’agisse de l’inverse. « L’agresseur russe vise à sécuriser un pont terrestre du Donbass à la région de Transnistrie », avance au contraire Dionis Cenusa.

Les hostilités gelées depuis 1992, et qui pourraient aujourd’hui dégénérer, ont conduit les dirigeants moldaves à garder ces derniers jours leurs distances avec certaines positions européennes. « Les autorités prônent la paix, critiquent l’invasion russe, mais, compte tenu de la dépendance énergétique et du conflit transnistrien, elles ont fermement rejeté l’idée de rejoindre les sanctions occidentales », observe Dionis Cenusa.

Les réfugiés venus d’Ukraine bienvenus
Ce qui n’a pas empêché la Moldavie, jusqu’ici membre du partenariat oriental, la politique européenne de voisinage consacrée aux pays de l’Est, de déposer officiellement jeudi sa candidature d’adhésion à l’UE. Chisinau reste également attaché à son statut d’État neutre, selon l’article 11 de sa Constitution. « Le pays ne peut normalement pas accueillir des troupes étrangères sur son sol, pointe Florent Parmentier. La question de l’Otan n’est pas prioritaire dans le débat public. »

L’urgence semble plutôt aujourd’hui de gérer l’afflux de réfugiés qui traversent la frontière, soit 164 000 personnes en dix jours, selon l’ONU, avec environ 25 000 entrées quotidiennes. Le gouvernement a levé les obstacles juridiques à leur embauche et à l’ouverture d’un compte en banque, puis ouvert les salles de classe aux enseignants ukrainiens. Les entreprises du secteur privé ont proposé des emplois de graphiste, de gestionnaire de bureau, d’ouvrier du bâtiment, de serveur ou d’informaticien. Le secteur de la tech pourrait absorber jusqu’à 5 000 travailleurs, le même nombre que dans le BTP. Les réfugiés , a martelé Igor Grosu, le président du Parlement. Si ce n’était la tragédie de la guerre, certains patrons pourraient même se frotter les mains, tant la fuite des cerveaux vers l’Occident a tristement vidé le pays, ces dernières années, de ses talents.

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