Sommet à Versailles: une Europe unie mais faible face à V. Poutine (LABBEZ-PONCELET/EAP)

Olivier PONCELET et Guillaume LABBEZ

Les 10 et 11 mars derniers, les chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union européenne se sont réunis à Versailles, à l’initiative de la présidence française du Conseil de l’Union européenne mais sur invitation du Président du Conseil européen Charles Michels.

Prévu avant la guerre en Ukraine, l’agenda a été bien sûr modifié pour intégrer pleinement les actions à mener face à cette situation historique sur le continent européen. Si toutes les conditions étaient réunies pour démontrer l’unité et la puissance de l’Europe, la mise en scène s’est révélée en décalage avec les réalités quotidiennes des Ukrainiens et n’a fait que mettre en lumière les faiblesses de l’Union européenne dans cette crise.

Le château de Versailles: la puissance et l’Histoire face à Poutine

Emmanuel Macron sait jouer avec les symboles et connaît le goût de Vladimir Poutine pour les attributs du pouvoir. Or le Château de Versailles les porte mieux que tout autre lieu. Quels autres murs ont en mémoire autant de siècles chargés de diplomatie européenne et internationale ? S’il ne fallait citer que deux dates : 1783 et la signature de traités bilatéraux entre les puissances européennes avec reconnaissance par l’Angleterre de l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. 1919 et Traité de paix éponyme, annonçant la fin de la Première Guerre mondiale.

Plus près de nous, en 2017, quelques jours après son arrivée au pouvoir, le Président français avait d’ailleurs reçu son homologue russe à cette même place.

Ce n’est donc pas un hasard si le Château de Versailles, lieu de puissance et d’Histoire, a été choisi pour accueillir les chefs d’Etats européens.

Une mise en scène et des images et des dorures qui jurent avec l’horreur de la guerre en Ukraine

Tous les ingrédients d’une communication impactante étaient réunis, mais un décalage est rapidement apparu entre les images de ce rassemblement et celles, au même moment, du terrain en Ukraine comme le bombardement d’un hôpital pédiatrique à Marioupol.

D’un côté, les portraits de dirigeants s’affichant tout sourire, visiblement très heureux de se retrouver (voir ces photos relayées par la Présidence française de l’Union européenne), de l’autre, des femmes enceintes évacuées en urgence dans un décor apocalyptique.

Des observateurs n’ont pas manqué de pointer du doigt ce décalage, comme par exemple la journaliste Laurence Haïm dans ce Tweet, et des photos-montages sont aussi apparus (ici) ou celui représentant le Président Macron se servant allègrement du vin (très repris sur Twitter) à partir d’une photo de l’AFP datant de plusieurs années (la voici par exemple dans un article du Parisien de 2019). Des opposants politiques, comme Marine Le Pen, ont fustigé l’ensemble de l’opération de “communication indécente » (voir ce post Twitter).

Un détournement de ces réunions de travail dans la fastueuse galerie des glaces qui résonnait d’autant plus fort que les dirigeants européens venaient d’annoncer des restrictions dans leurs pays respectifs. En France, c’est Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, qui avait souligner quelques jours auparavant de devoir des Français de “tous faire des efforts » et notamment « baisser la température dans [les] logements ». Là encore, les réseaux sociaux n’ont pas manqué d’établir un parallèle (voir par exemple ce post Twitter).

Une communication en grande pompes qui rappelle en négatif les fragilités européennes

Il serait excessif de parler de communication « de façade » car ce rassemblement des dirigeants européens constituera sans doute une étape importante dans la construction d’une souveraineté commune. Les Etats membres ont en effet convenu d’ « augmenter considérablement les dépenses en matière de défense » et de « réduire notre dépendance énergétique » (voir la déclaration de Versailles qui parle de « bouleversement tectonique dans l’histoire européenne »).

Il n’en reste pas moins que ces décisions de long terme, qui s’inscrivent d’ailleurs dans un processus européen déjà engagé, peinent à cacher l’absence de décisions de court terme prises à Versailles pour soutenir les ukrainiens. Deux demandes fortes du Président Zélensky n’ont pas ainsi trouvé de réponse positive.

La premièreporte sur la constitution d’une no fly zone  dans le ciel ukrainien pour les défendre des bombardements russes. Si la déclaration de Versailles indique que les Etats membres « [sont] déterminés à faire encore davantage pression sur la Russie et sur le Biélorussie », aucune mesure n’a été actée. Le jour de la déclaration de Versailles, le Parlement ukrainien a diffusé cette vidéo impressionnante d’un Paris sous les bombes (voir ce post Twitter) renforçant le décalage entre les déclarations d’intentions et l’urgence des demandes ukrainiennes.

Quant à l’adhésion rapide de l’Ukraine dans l’Union européenne, les Etats membres ont fermé la porte tant que le pays serait en guerre alors que certains pays comme la Pologne militent pour une accélération du calendrier.

Cet affichage de la puissance européenne s’est également heurté à la situation de dépendance des Etats membres vis-à-vis des hydrocarbures russes, alors que les Etats-Unis et l’Angleterre ont, eux, bien annoncé un embargo sur le pétrole et le gaz russe. Les lustres du Château de Versailles ont donc surtout mis en lumière les fragilités de la position européenne dans ce conflit et ses faiblesses … tout court.