L’ancien chef militaire des séparatistes du Donbass est devenu un critique acerbe de l’opération militaire en Ukraine. Igor Strelkov fait aujourd’hui partie des plus violents détracteurs de la stratégie militaire russe. Réputé pour ses positions ultranationalistes, il commente activement le cours de la guerre sur les réseaux sociaux et n’épargne ni Vladimir Poutine, ni son ministre de la Défense.
« L’opération militaire spéciale est un échec total », affirme Igor Strelkov, les bras croisés, face caméra, sur fond de drapeau de la Novorossia, ce territoire, qui englobe le sud et l’est de l’Ukraine, que les nostalgiques de l’empire russe rêvent de conquérir. Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, le colonel de réserve du FSB, fine moustache, cheveux grisonnants coupés court, est très présents sur les réseaux sociaux pour dire tout le mal qu’il pense de la guerre que la Russie mène chez son voisin : « En Ukraine, ils se moquent de nous, tout simplement. Pas de vous et de moi, mais ils se moquent de tous ces gens qui réfléchissent si bien, qui ont de si merveilleux concepts stratégiques et de si merveilleuses solutions tactiques », ironise-t-il.
Depuis qu’il a été mis sur la touche en août 2014, où il a dû quitter son fief éphémère de Sloviansk dans le Donbass, l’ancien « ministre de la Défense » de l’autoproclamée « République populaire de Donetsk », amer, ronge son frein et n’hésite pas à critiquer le cours de la guerre en Ukraine. « Il représente une partie de l’échiquier politique russe, à savoir les nationalistes d’extrême droite, dont on s’attend finalement assez peu à ce qu’ils critiquent la position de Vladimir Poutine », constate Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. « Mais depuis la chute de Marioupol, on a entendu de sa part à la fois une critique de la déplorable maîtrise de l’art de la guerre et des erreurs conduites par l’armée russe au début de ce conflit. Il est aussi extrêmement critique, lui qui a reçu une formation militaire et qui a participé au confit 2014, par l’ingérence de Vladimir Poutine dans les prises de décision militaires ».
Des critiques qui restent acceptables pour le pouvoir russe
Féru de reconstitutions historiques, monarchiste, ultranationaliste, affublé du qualificatif de « terroriste » par les autorités et les médias ukrainiens, Igor Guirkine, alias Strelkov, un nom dérivé du mot tireur, se décrit lui-même comme opposant. Pour autant, ses critiques, bien que virulentes, restent acceptables pour le pouvoir russe. « Il critique réellement les actions de l’armée russe et il dit assez clairement qu’il ne pense pas du bien de l’actuel président, mais il affirme aussi qu’il ne faut surtout pas le destituer parce que sinon il y aura une révolution », note Natalia Ioudina, spécialiste du nationalisme russe, au centre d’analyse du racisme Sova à Moscou. « Ce qui me paraît le plus important et que, depuis le début de l’opération militaire, il a toujours dit qu’il la soutenait. Il se permet seulement de critiquer le pouvoir pour son manque de stratégie et pour son impréparation, mais globalement, il reste dans la ligne générale du parti », souligne l’experte.
Âgé de 51 ans, Igor Strelkov a participé à de nombreux conflits nés après l’éclatement de l’URSS : la Transnistrie en 1992, la Bosnie, les deux guerres de Tchétchénie, avant de connaître son heure de gloire dans le Donbass, en chef des combattants séparatistes, financé par l’oligarque nationaliste orthodoxe Konstantin Malofeev. Il se targue même d’être à l’origine du déclenchement de la guerre du Donbass en avril 2014. Mais ses déboires sur le terrain militaire et la destruction du vol MH17 par un missile tiré du territoire séparatiste finissent par le pousser vers la sortie en août 2014. Depuis, il n’intéresse plus les autorités russes et a disparu des chaînes de télévision nationales. « Il me semble qu’elles ne sont pas prêtes à le livrer au tribunal de La Haye, mais dans le même temps, elles n’ont pas l’intention de faire appel à ses services pour leur opération militaire. Il ne leur sert plus à rien, en fait », avance Natalia Ioudina qui souligne que l’homme a, à plusieurs reprises, annoncé qu’il était prêt à se rendre sur le terrain des opérations militaires, « mais pour l’instant, il continue à se déplacer en métro, il reste chez lui et occupe son temps à commenter l’opération spéciale ».
À la tête de son mouvement « Novorossia », Igor Strelkov s’occupe d’aide humanitaire et de fourniture de munitions et d’uniformes aux militaires des républiques séparatistes ukrainiennes. Actuellement jugé par un tribunal des Pays-Bas, avec trois autres suspects, tous absents, pour le meurtre des passagers du vol MH17 abattu un juillet 2014 au-dessus de l’est de l’Ukraine, Igor Strelkov rejette les accusations. Les procureurs néerlandais, qui ont requis la perpétuité, estiment que les quatre hommes ont joué un rôle central dans l’acheminement depuis la Russie d’une batterie antiaérienne BUK, probablement destinée à frapper un avion de guerre ukrainien. Le jugement pourrait être rendu en novembre.
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