Livraison des BPC Mistral : vers un « oui conditionnel » ?

Florent PARMENTIER – 8 novembre 2014

On aura beaucoup glosé sur la vente des Mistrals ces derniers mois, à destination de la Russie. A fortiori, cette question est encore en suspens plusieurs mois après le début du conflit ukrainien. Livrer un BPC, c’est-à-dire un appareil de transport de combats pour attaquer le sol depuis la mer, au moment que nous connaissons, peut-il se justifier ?

Pourquoi avoir livré le Mistral ?

Suite à la guerre russo-géorgienne de 2008, pour laquelle Nicolas Sarkozy a joué un rôle de médiateur, le Président français a tenté un pari : si la Guerre froide est terminée, alors nous pouvons commercer avec Moscou. La France étant en retard dans ses échanges économiques avec la Russie, la vente de matériel militaire constitue un moyen d’amorcer une coopération. Evidemment, la situation stratégique actuelle prend totalement à contre-pied ce pari, posant aux autorités françaises le dilemme suivant : livrer ou ne pas livrer ?

Le dilemme français

Le débat français est polarisé entre deux camps, que l’on pourrait appeler les « dénonciateurs » et les « contractualistes ».

Les « dénonciateurs » mobilisent des arguments d’ordre moral : n’est-il pas inconvenant de livrer des armes maintenant alors que la Russie teste notre capacité de résistance à l’échelle européenne ? La guerre du Donbass inquiète au plus haut point nos partenaires baltes, qui craignent pour leur propre sécurité. D’autres, comme Bruno Tertrais, spéculent sur le fait que nous perdre d’importants contrats d’armement en Pologne pour des matériels de défense. Dit autrement, la livraison des Mistrals « n’apporterait aucun bénéfice dans la relation avec la Russie, tandis que le coût politique serait maximal en Europe » (Le Point, 4 novembre 2014).

Les « contractualistes » voient de la sagesse à suivre la vieille maxime romaine : Pacta sunt servanda (les traités lient les parties). Ne pas livrer, ce n’est pas seulement perdre plus d’un milliard d’euros, sans compter les demandes d’indemnisation de la Russie pour rupture du contrat : c’est, plus grave, démonétiser la parole de la France. En d’autres termes, nous perdrions toute chance d’obtenir quelque chose sur le marché russe, mais plus encore, nous perdrons tous les marchés d’armement de l’Inde au Golfe, scellant peu ou prou le sort des industries qui lui sont liées. Arguments plus immédiats, l’un des deux navires est prêt, il n’est pas livré armé, et ne fera certainement pas la différence militairement dans le conflit qui sert de motif au boycott de la livraison… En d’autres termes, « nous perdrions beaucoup sur les marchés internationaux sans rien gagner dans la stabilisation de l’Ukraine »…

Vers un « oui conditionnel » ?

Le dilemme français risque de nous laisser dans une situation d’indécision coûteuse si aucune proposition novatrice n’est envisagée : perte des marchés d’armement et frictions avec nos partenaires politiques dans la plupart des cas de figure. Il n’est pourtant pas nécessaire d’attendre une hypothétique détente en Ukraine pour reprendre l’initiative. Pour tenir compte des inquiétudes sécuritaires de nos partenaires tout en respectant la parole donnée, il convient d’adopter la stratégie du « oui conditionnel », en proposant des solutions sur trois plans : militaire, diplomatique et politique.

  • Sur le plan militaire, il est possible, plutôt que de revenir sur la livraison des navires, de s’engager à livrer deux Mistrals pour l’Ukraine, et de participer à la reconstruction de ses forces navales, dans le cadre d’une mobilisation internationale. La France ne peut « offrir » à l’Ukraine deux navires ; elle peut en revanche y prendre sa part (y compris financières) aux côtés d’autres alliés, préoccupés de la situation ukrainienne. Un financement américain serait bienvenu, les Etats-Unis étant eux-mêmes peu touchés par les sanctions à l’encontre de la Russie à la différence des Européens.
  • Sur le plan diplomatique, la France doit être pour les Européens ce que la Biélorussie est aujourd’hui : un acteur dans la crise, avec un positionnement particulier. Le Président Loukachenko est incontestablement proche de la Russie, mais s’avère un défenseur intransigeant de l’intégrité ukrainienne, déconseillant la fédéralisation du pays prônée par les autorités russes. Il nous faut donc convoquer une série de consultations au niveau européen, et rappeler l’importance que revêt ce contrat à l’heure où la France se voit reprochée ses déficits persistants.
  • Sur le plan politique, l’affaire du Mistral est l’occasion d’entrer dans des négociations politiques avec la Russie : la livraison des Mistrals peut être l’occasion de signifier les limites de l’engagement russe dans le conflit ukrainien.

En d’autres termes, renier ce contrat serait coûteux, tout comme le fait de le livrer en faisant fi de nos partenaires ; c’est la raison pour laquelle il faut proposer un « oui conditionnel » afin de se laisser la possibilité de prendre, en dernier recours, la décision d’un « non honorable ».

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