Echange de prisonniers en Ukraine : bonne nouvelle humanitaire et non événement stratégique

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Cyrille BRET – 27 décembre 2014

Les autorités ukrainiennes et les responsables des Républiques populaires autoproclamées de Donestk et de Luhansk ont procédé, le 27 décembre 2014, à un échange de prisonniers sans précédent par son ampleur depuis le début du conflit armé, au printemps 2014 : le gouvernement de Kiev a ainsi relâché plus de 200 rebelles faits prisonniers durant les combats contre près de 150 soldats réguliers. Il s’agit du seul résultat tangible des pourparlers engagés à Minsk au début de la semaine entre les deux camps.

Ce geste humanitaire doit être salué. Cependant il ne doit occulter ni la signification tactique préoccupante de cet échange ni la quasi nullité de sa portée stratégique. Même si on se félicite des libérations d’aujourd’hui, on doit admettre que  les éléments d’un surcroît de tension en 2015 dans cette zone sont réunis. La liberté pour plusieurs centaines de prisonniers ne préfigure malheureusement pas la paix pour les millions d’Ukrainiens affectés par le conflit en cours.

Un geste humanitaire espéré

Après le décompte macabre de plus de 4000 victimes livré fin août par l’ONU, après la comptabilité effarante de plus de 400 000 réfugiés tenue par le HCR, après l’annonce récente de 1 300 victimes supplémentaire sentre le 5 septembre et fin décembre alors même que le cessez-le-feu conclu à Minsk aurait dû être en vigueur et enfin, après les mauvais traitements physiques, moraux et médiatiques infligés de part et d’autre aux combattants au mépris de toutes les conventions internationales, cet échange de prisonniers est un symbole de l’aspiration à la paix.

La période est d’importance pour les familles et pour les Ukrainiens dans leur ensemble : dans le monde orthodoxe, Noël est célébré après le Nouvel an, le 7 janvier. La période qui s’ouvre au 1er janvier est traditionnellement placée sous le signe de l’apaisement. En parvenant à un accord sur cet aspect du conflit le 24 décembre, les parties en présence ont souhaité montrer leur bonne volonté à leurs populations durement éprouvées par les combats. Toutefois, ce résultat ne peut masquer le peu d’efficacité des pourparlers en cours depuis juin 2014,: depuis plus de six mois, sous l’égide des membres de l’OSCE, de l’Union européenne et de la Fédération de Russie, les discussions ne sont pas parvenues à établir une trêve robuste.

Un symptôme tactique préoccupant

Loin de préfigurer « l’accord de paix global » fixé à l’agenda des négociations depuis septembre, l’accord partiel d’aujourd’hui peut même être inquiétant pour la suite du processus. La libération de prisonniers est le symptôme paradoxal du blocage des négociations. Depuis l’élection du président Porochenko, en mai, depuis la conciliation française, en juin, depuis l’accord de Minsk, en septembre et depuis les élections générales ukrainiennes, en novembre, aucune avancée significative n’a été réalisée vers la résolution du conflit interne. A la table des négociations, les sujets de division structurels n’ont pas trouvé de résolution même graduelle : la décentralisation de l’Ukraine, le respect des minorités, les relations du pays avec la Fédération de Russie et avec l’OTAN, la lutte contre la corruption, etc. tous ces motifs de discorde sont encore brûlants.

Sur le terrain, les combats continuent et le feu de la guerre couve. Les succès des forces gouvernementales ne sont pas assez décisifs pour rétablir la souveraineté de l’Etat. Et leurs échecs sont sont pas suffisamment massifs pour contraindre à négocier plus activement. Les deux parties campent sur leur position : rétablissement inconditionnel de l’ordre légal et de la souveraineté du côté de Kiev, défense des droits des minorités russophones du côté de Donesk. L’accord sur les prisonniers est le signe que les camps en présence ne sont capables que de dégager des solutions a minima et circonstancielles. Loin d’être encourageants, ils actent la discorde général par leur caractère circonscrit.

Un non-événement stratégique

L’événement humanitaire doit également nous rappeler que l’essentiel, durant cette semaine, est ailleurs. Sur le plan stratégique, l’année 2015 s’engage mal.

Du côté du Parlement ukrainien, l’élaboration d’un projet de loi visant à dégager l’Ukraine des pays non-alignés éloigne la perspective d’une « finlandisation » de cet Etat. Comme les autorités russes l’ont relevé, cette annonce équivaut à un souhait de candidature à l’OTAN, ce qui constitue la ligne rouge essentielle pour Moscou. Du côté de la Fédération de Russie, la déclaration du président Poutine annonçant un changement dans la doctrine stratégique de la Fédération est essentielle : en passant de l’implicite à l’explicite, elle inscrit la Russie dans une rupture (depuis longtemps latente) avec l’OTAN. Le débat entre la Russie et l’Occident s’en trouvera durci à court terme. Sur le bouclier anti-missile, sur le régime des sanctions, sur le soutien aux associations des droits de l’homme, sur le dossier iranien…

Si 2014 s’achève avec la libération de prisonniers ukrainiens, 2015 pourrait bien commencer par de nouvelles tensions. L’humanitaire sera alors éclipsé par le militaire.

1 commentaire

  1. Article oh combien prémonitoire !
    Jusqu’où peut aller un homme sans scrupule, l’assaillant Poutine, au mépris absolu des valeurs internationalement reconnues ?
    Qui peut arrêter ses dérives meurtrières et comment ?

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