L’Estonie et le numérique (NOCETTI et Renaissance numérique)

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18 mars 2015

Le think tank Renaissance numérique a récemment publié une étude sur la reconstruction de l’Estonie grâce au numérique.

EAP : pourquoi étudier l’Estonie et le numérique ?

Julien NOCETTI : l’Estonie présente la double originalité d’être un ancien pays du bloc soviétique, membre de l’OTAN et de l’Union européenne depuis 2004, et l’un des plus avancés au monde dans la transition numérique. L’étude s’intitule « Se reconstruire par le numérique » pour souligner cette singularité estonienne : le pays, peu après son indépendance acquise en 1991, perçoit déjà le potentiel des nouvelles technologies pour « repartir de zéro » après plusieurs décennies de planification économique. L’Estonie développe ses propres infrastructures, de télécommunications notamment, et investit très rapidement dans les services bancaires en ligne – la première banque en ligne ouvre en 1996.
Par ailleurs, l’Estonie représente un exemple intéressant de stratégie qui consiste à convertir le pays au numérique « par le haut », soit en formant les décideurs politiques et les hauts-fonctionnaires. Son président, Toomas Hendrik Ilves, est très actif en ligne, commentant les principaux dossiers de politique étrangère, en particulier sur Twitter. Andrus Ansip, vice-président de la nouvelle commission européenne qui chapeaute notamment l’économie numérique, est estonien.
Cette volonté politique a permis aux autorités estoniennes de bâtir une « société numérique » avancée en très peu de temps – le pays est il est vrai favorisé par sa taille réduite. Pour donner quelques exemples, l’Estonie est aujourd’hui le pays qui a le plus de startups par habitant au monde. Le numérique représente 15 % du PIB national. L’accès à Internet est considéré comme un droit fondamental dans un pays où 95 % des citoyens paient leurs impôts en ligne. Tallinn a de plus lancé un passeport électronique pour favoriser la venue d’investisseurs étrangers.

EAP : l’Estonie est-elle à l’avant-garde de la cyber-sécurité en Europe ?

JN : la très forte dématérialisation de l’économie et de l’administration a inévitablement engendré de nouvelles vulnérabilités pour l’Estonie. Le souvenir des cyber-attaques du printemps 2007 reste vivace chez les Estoniens – le pays avait été déconnecté pendant plusieurs heures à la suite d’attaques massives sur les sites du gouvernement, des principaux médias et des services bancaires.
En réaction, Tallinn a organisé sa cyber-défense en accueillant un an plus tard le Centre d’excellence de cyber-défense de l’OTAN, chargé notamment de l’interopérabilité et de la sécurisation des infrastructures numériques des pays membres de l’Alliance. D’une manière générale, en raison de ses relations complexes avec son voisin russe, l’Estonie est le pays de l’OTAN qui reste le plus sensible au sujet « cyber » : ce n’est pas un hasard si la capitale accueille chaque année une conférence internationale sur la cyber-sécurité et la cyber-défense. La crise ukrainienne concourt évidemment à renforcer les appréhensions estoniennes sur la menace russe ; il est donc tout à fait possible que l’Estonie assume cette fonction d’avant-poste dans les années à venir.

EAP : quelles sont les relations actuelles de la Russie avec les Etats baltes ?

JN : elles restent pour le moins fraîches – la crise en Ukraine n’a d’ailleurs guère contribué à les améliorer, les trois Etats baltes étant à la pointe du front anti-Kremlin dans ce pays, aux côtés de la Pologne. Seule une minorité des populations baltes redoute craindre un scénario « à l’ukrainienne » dans leur propre pays, ce qui n’empêche pas leurs dirigeants de réclamer une plus forte présence de l’OTAN. Il y a une semaine, l’anniversaire de l’indépendance estonienne a été célébré avec faste à Narva, ville frontalière de la Russie à majorité russophone, avec un défilé militaire incluant des troupes de l’OTAN et américaines. C’était la première fois que des soldats américains défilaient si près de la frontière russe !
Néanmoins, le principal sujet de discorde demeure le statut des minorités russophones dans les pays baltes, plus importantes en Estonie et Lettonie qu’en Lituanie. Ceux-ci voient dans ces minorités linguistiques un puissant levier d’influence – politiquement représenté – que Moscou n’hésite pas à actionner, surtout en temps de crise. En réaction, les autorités baltes se sont raidies sur la question de la langue, en exigeant notamment l’apprentissage de la langue nationale dans les écoles russes. Enfin, la mémoire historique reste un sujet fréquent de crispation entre Russes et Baltes, lié à l’histoire très éprouvante de ces trois Etats au XXème siècle.

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