Mohammed bin Salman (MbS), vice-prince héritier, ministre de la Défense et directeur du Comité économique et de développement du royaume saoudien, est en visite à Paris, après un déplacement aux États-Unis à la mi-juin. C’est une opportunité pour les autorités françaises de mieux connaître le nouvel homme fort de Ryad et de comprendre ses audacieux projets de réformes économiques. Le réseau des alliances françaises dans la région peut-il s’appuyer sur un « nouveau logiciel » en déploiement au royaume wahhabite?
Photo : le président François Hollande recevant le vice-prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohamed Bin Salman, lundi 27 juin, au palais de l’Élysée.
Depuis l’intronisation du roi Salman, l’Arabie Saoudite semble touchée par un vent de renouveau. En faisant de son fils, Mohammed bin Salman, le nouvel homme fort du pays, le roi ouvre la voie à la jeune génération et aux indispensables réformes dont a besoin le royaume. Alors que 70% des Saoudiens ont moins de 30 ans, le prince incarne cette nouvelle génération qui souhaite faire évoluer le pays dans le respect de ses traditions. Le grand défi de MbS est désormais de mettre en oeuvre son projet Saudi Arabia Vision 2030, un audacieux plan de réformes qui vise à enrayer le déclin tant économique que politique du pays.
Changer le « logiciel économique » du royaume
En déclarant que « le pétrole doit être considéré comme un investissement, rien de plus, rien de moins »1, MbS a donné une clef de compréhension de la « révolution culturelle » qu’il souhaite initier en Arabie Saoudite. En cédant 5% du capital de l’Aramco, la compagnie pétrolière nationale, Ryad espère gagner environ 2000 milliards de dollars (Md$). Ceux-ci seront transférés au Public Investment Fund, ce fonds deviendra le plus important fonds souverain au monde et le véhicule d’investissement au service du plan Vision 2030. Ces ressources financières permettront de financer les grands chantiers sans pénaliser le budget actuel de l’État.
Si l’on simplifie, Vision 2030 s’articule autour de trois axes majeurs :
- Une réforme de l’appareil d’État et du marché du travail, tant structurelle que culturelle. Ainsi, MbS veut, entre autres, transformer la fonction publique et le fonctionnement de l’État, à commencer par ministère des Finances, réformer le système d’allocations – qui bénéficie bien souvent aux plus riches et provoque la colère des plus modestes, adopter les normes comptables et certaines normes juridiques internationales, ou renforcer les règles de transparence pour prévenir la corruption et améliorer climat des affaires. Le plan prévoit aussi une réforme significative de la formation des jeunes Saoudiens, afin qu’ils soient capables de satisfaire aux exigences du secteur privé et des entreprises internationales.
- Pour le quotidien des Saoudiens, le plan prévoit une optimisation des politiques de santé publique visant à accroître l’espérance de vie de 74 ans à 80 ans, un plus grand accès à la propriété afin que 52% des Saoudiens soient propriétaires en 2020 contre 47% aujourd’hui, et – défi remarquable – une réforme de la politique culturelle du Royaume. Dans ce pays très conservateur, MbS veut, entre autres, créer une industrie des loisirs qui réponde aux attentes d’ouverture et de divertissement des jeunes et des réformistes. Ceci, dans le respect des traditions, car la moitié de la population la plus conservatrice ne manquerait pas de dénoncer une occidentalisation « dégénérée » du royaume.
- Enfin, le plan prévoit d’initier une véritable politique industrielle dans plusieurs secteurs (défense, immobilier, tourisme, industrie minière) en développant les partenariats avec des entreprises internationales. Dans ce cadre, l’Arabie Saoudite prévoit la création d’une « green card » qui offrirait plus de libertés aux professionnels étrangers venant travailler dans le pays.
Développer l’industrie d’armement saoudienne, des opportunités françaises ?
Les exportations de pétrole et de gaz représentent les principaux revenus du pays. Cependant celles-ci sont amenés à diminuer car le royaume va devoir consommer une part de plus en plus importante de sa production pour son développement. Si le plan Vision 2030 prévoit de développer l’industrie minière (cuivre, or, argent, phosphate et uranium), c’est surtout l’industrie de l’armement qui est au coeur du projet industriel.
Dans l’interview qu’il a donné à Al Arabiya, MbS insiste sur la volonté saoudienne d’acquérir 50% de son équipement militaire auprès de l’industrie saoudienne contre 2% aujourd’hui. Et de rappeler que le royaume est l’un des quatre premiers acheteurs mondiaux, mais que l’armée saoudienne n’est que la 20ème du monde. D’où la volonté de l’exécutif de rationaliser les coûts, renforcer les exigences et développer une industrie nationale grâce aux transferts de technologie réalisés lors de partenariats internationaux.
Dans ce contexte, quelles sont les opportunités pour la France ? Durant la décennie 2006 – 2015, le royaume a été le premier client de l’industrie française d’armement avec quelques douze milliards d’euros de contrats2.
Si la part de la France est largement inférieure à celle des États-Unis, partenaire historique des Saoudiens, Paris pourrait sérieusement prendre sa part dans ce projet. Seule ou avec certains partenaires européens, la France pourra certes remporter des contrats. Cependant, il est intéressant de s’arrêter un instant sur l’une des coopérations les plus intelligentes mises en place dans la région afin de trouver l’inspiration et d’imaginer la meilleure forme de collaboration franco-saoudienne ou saoudo-européenne face au rouleau compresseur de la concurrence américaine qui, entre 2011 et 2014, à remporté 83,3% des contrats saoudiens.
En 2008, un important partenariat a été signé entre General Electric et le fonds émirien Mudabala pour la création d’une joint-venture dotée de huit milliards de fonds propres. Son objectif est d’investir dans des secteurs très variés de l’économie afin de diversifier l’économie émirienne.
Peut-on alors imaginer une structure semblable pour une coopération franco-saoudienne ou saoudo-européenne dans le développement d’une industrie d’armement locale ? À plus longue échéance, peut-on même envisager une déclinaison d’un tel modèle pour d’autres marchés de la région ?
Conclusion: vers une modernité saoudienne?
La visite de MbS en France, après celle qu’il a effectué aux Etats-Unis, n’est pas seulement une visite officielle destinée à l’imposer comme l’homme fort du pays et futur prétendant au trône de son père. À l’heure où l’image de l’Arabie Saoudite est fortement dégradée sur la scène internationale, celui qui incarne la « Génération 70-30 » (les 70% de Saoudiens qui ont moins de 30 ans) est venu présenter sa vision de la modernité saoudienne. Un projet qui passe par une modernisation économique, un desserrement de l’étau social qui pèse sur une population jeune, une adoption d’un certain nombre de standard internationaux visant à favoriser le climat des affaires et une farouche volonté de se donner les moyens industriels de survivre dans une compétition économique internationale forte et un environnement régional explosif.
Le prince de la génération 70-30 pourra-t-il aller au bout de ses réformes ? Au-delà de la volonté de faire, il faudra aussi que le roi Salman, que l’on dit malade, puisse conserver son trône le plus longtemps possible. C’est certainement là le principal défi du Vice-prince héritier.
1Al Arabiya, Full Transcript of Prince Mohammed bin Salman’s Al Arabiya interview, Ryad, 26/04/2016