Premier déplacement africain d’Emmanuel Macron à Gao, Mali (FARDE sur CNews)

Guillaume Farde, vous êtes conseiller de la spécialité « Sécurité et défense » de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po. Le Président vient d’effectuer son premier déplacement au Mali, afin de rencontrer les troupes. Quels ont été les grands messages de son allocution ?

J’en ai retenu trois principaux.

Le premier est sous-jacent à son discours. Emmanuel Macron s’est rendu à Gao pour poursuivre son travail de prise de possession de la fonction présidentielle. L’article 15 de notre Constitution en fait le chef des armées en droit. Il lui fallait l’incarner dans les faits. Il est hautement symbolique à cet égard, que la première adresse publique aux armées ait lieu sur un théâtre d’opération extérieure. Inscrire cette visite à l’agenda de la première semaine envoie un signal très favorable aux armées. Par un geste simple – se rendre sur leur base vie – le Président de la République leur montre non seulement qu’il est désormais leur chef mais aussi, et surtout, que les conditions de leur engagement comptent parmi ses priorités. Dans son discours, le président de la République a su trouver le ton juste et s’adresser aux armées avec la gravité que la situation impose. Je considère pour ma part, que ce discours est très réussi.

Le second a consisté à inscrire l’action des armées françaises dans un cadre plus large. Il était nécessaire de rappeler à Gao que sans l’action militaire rien n’aurait été possible mais que la seule action militaire ne peut suffire. L’objectif d’éradication du terrorisme ne sera possible que par la mise en œuvre d’une approche globale où les militaires ont bien-sûr toute leur place mais dont le succès implique qu’ils n’aient justement pas toute la place. Il leur faut des partenaires.

D’où le troisième message qui a consisté en la présentation d’une méthode. L’approche du président de la République est à son image : elle décloisonne. La méthode proposée consiste à faire travailler les militaires avec d’autres acteurs publics, notamment avec ceux en charge du développement. De ce point de vue, la présence du directeur de l’Agence Française de Développement n’était pas neutre. Le décloisonnement passe ensuite par le multilatéralisme. L’Allemagne va être associée à la sortie de crise mais aussi d’autres Etats occidentaux et africains. Enfin, le décloisonnement c’est aussi la mobilisation des acteurs privés. Emmanuel Macron les a cités à deux reprises dans son discours. C’est assez inhabituel dans la culture française pour être souligné. Les acteurs privés sont des partenaires indispensables au redressement économique du pays et leur pleine association est, en cela, une condition de la sortie de crise.

D’aucuns disent que le nouveau Président n’est pas aussi familier du continent africain que certains de ses prédécesseurs, mais qu’il montre par son déplacement et son allocution l’importance qu’il accorde dès à présent à ce sujet. Quelles sont les attentes de nos partenaires à son égard ?

Je ne fais pas partie de ceux qui, de façon assez inélégante, mettent en avant une soi-disant méconnaissance des sujets africains par le Président de la République, allant parfois jusqu’à ironiser sur son stage ENA à l’ambassade de France à Abuja, en 2002. Dire cela, c’est non seulement méconnaître le déroulé de la scolarité à l’ENA mais c’est surtout nier injustement l’intérêt précoce du président de la République pour ce continent. Alors qu’il aurait pu demander que ce stage en ambassade ait lieu autre part dans le monde, notamment dans un Etat occidental, Emmanuel Macron a volontairement choisi l’Afrique. J’y vois la preuve d’une curiosité intellectuelle féconde pour ce continent et les enjeux qui y sont inhérents. Le choix du Nigéria démontre qu’il avait perçu il y a déjà quinze ans, le rôle central qu’allait tenir cet Etat dans la géopolitique économique de l’Afrique.

Concernant les attentes des partenaires de la France, je serais tenté de citer à mon tour Louis de Guinringaud lorsqu’il disait que « l’Afrique est le dernier continent qui soit encore à la mesure de la France […] le seul où avec trois cents hommes la France puisse encore changer le cours de l’histoire ». Il n’est plus si certain, près de quarante ans après la fin du septennat de Valery Giscard d’Estaing que la France puisse encore changer le destin de l’Afrique à elle-seule, avec trois compagnies de soldats. D’abord parce que cette ingérence-là dans la souveraineté des Etats africains tend à s’estomper – la présence militaire française sur le continent à considérablement diminué depuis 1960 – et ensuite, parce que même si la France conserve plus que tout autre Etat dans le monde, des relations privilégiées avec les Etats d’Afrique de l’Ouest, son action doit résolument s’inscrire dans un cadre européen et multilatéral. Les partenaires de la France attendent donc qu’elle dessine les contours de cette multilatéralité qu’elle appelle de ses vœux. Aucun ne nie son rôle particulier. L’heure est à la définition des rôles de ses partenaires et à l’articulation de ces rôles dans le cadre d’une feuille de route de sortie de crise.

Que recouvre le changement d’intitulé du Ministère de la Défense, redevenu Ministère des Armées ?

De prime abord, ce changement d’appellation a pu surprendre. A la réflexion, il est très cohérent avec la volonté de pleine incarnation de la fonction présidentielle par Emmanuel Macron. Il est le chef des armées. La définition de la politique de défense est de sa compétence, en lien avec le Premier ministre qui, constitutionnellement, est responsable de la défense nationale. L’appellation « ministère des armées » renvoie ainsi à cette conception très gaullienne de la définition et de la mise en œuvre de la politique de défense où le couple Elysée-Matignon conçoit et où le Ministère des armées réalise.

Sylvie Goulard, Ministre des Armées

Le changement d’appellation n’est cependant pas sans laisser planer quelques incertitudes qu’il appartiendra à la nouvelle ministre des Armées de rapidement lever. La première est celle des 65 000 personnels civils du ministère qui pourraient se sentir exclus par ce changement d’appellation. Des signes rapides à leur endroit seront plus que jamais nécessaires. La seconde est celle de l’espace politique de la Ministre elle-même sur un échiquier où le président de la République entend incarner pleinement son rôle et où le ministre de l’Europe et des affaires étrangères continuera légitimement son œuvre d’accompagnement des industries françaises à l’international. Les industriels de la défense ne comprendraient d’ailleurs pas que Jean-Yves Le Drian les prive de son soutien, notamment dans le Golfe. La troisième est celle des moyens budgétaires dont disposera la Ministre. L’objectif des 2% du PIB d’ici à 2025 est un engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron et il appartiendra à la future Ministre de le faire entendre au moment où les premiers arbitrages interministériels seront rendus. Si la guerre entre Bercy et Brienne devait repartir, les armées attendraient de leur Ministre qu’elle les défende avec la même vigueur que son prédécesseur.