Le budget de la défense et la question de son externalisation (FARDE pour CNews et Eurasia Prospective)

Guillaume Farde, vous êtes un spécialiste reconnu des questions de défense, et conseiller scientifique de la spécialité « Sécurité et défense » de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po. On a beaucoup parlé, à l’occasion de la démission du Général de Villiers, de la question du budget militaire français. Selon les acteurs concernés, pour quelles raisons les demandes d’économie demandées aux forces armées seraient-elles plus recevables que celles d’autres Ministères ?

 

Guillaume Farde : Je ne crois pas que l’on puisse hiérarchiser la recevabilité des efforts budgétaires demandés à tel ou tel ministère sans tomber dans la subjectivité ou le discours partisan. Chacun, selon sa sensibilité et sa trajectoire personnelle voit midi à sa porte.

Au fond, au-delà des jeux d’acteurs et des postures tactiques, les enjeux de cette séquence sont, pour moi, la sortie de l’ambiguïté et la sincérité du contrat opérationnel qui lie le politique aux armées.

Guillaume Farde sur CNews

Sur la sortie de l’ambiguïté, la position qui consistait à démultiplier les signaux positifs aux armées depuis l’investiture n’était plus compatibles avec la perspective de coupes claires dans le budget du ministère des armées. Je le disais encore récemment sur votre site à propos du discours du Président de la République à Gao, les premières séquences d’adresse aux forces armées étaient réussies. Elles ont naturellement suscité des espoirs contraires aux rumeurs de réduction budgétaire. Comme le dit le cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » et ce qui a été présenté comme une petite victoire de Bercy sur Brienne écorne le capital de popularité présidentiel au sein des armées.

Sur la sincérité du contrat opérationnel, il y a une autre contradiction encore plus concrète qui est celle des moyens dont les armées ont besoin au moment où leur niveau d’engagement à l’extérieur comme à l’intérieur est absolument maximal. Les obliger à 850 millions d’économies dans une période d’engagement absolument critique ne les aide pas. Sans remonter trop loin en arrière, chacun a pu mesurer les conséquences de la politique budgétaire décidée par Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012 sur le ministère de la défense. Il aura fallu un quinquennat entier à Jean-Yves Le Drian pour réparer la majeure partie de ces dégâts. Il ne faudrait pas aujourd’hui, répéter les mêmes erreurs.

 

Vous avez publié en 2016 un ouvrage sur l’externalisation et les partenariats public-privé (Externaliser la sécurité et la défense en France, Paris, Hermann éditeurs) : cette approche de l’action publique vous paraît-elle à même de contribuer à la préservation de l’outil sécuritaire français par l’introduction de modèles managériaux alternatifs ?

 

Guillaume Farde : L’externalisation est une politique publique parmi d’autres. Elle n’a rien d’un remède miracle. Le penser, c’est déjà en dévoyer les potentialités. Les années 2007-2012 ont été marquées par une forte vague d’externalisations, pas toujours pour de bonnes raisons et donc, hélas, avec des résultats passables au bilan. L’externalisation ne peut pas se pratiquer avec dogmatisme. Considérer qu’elle serait la solution tombée du ciel aux tensions budgétaires est un leurre.

Il est évident, et je l’ai écrit dans l’essai que vous citez dès l’année dernière, que le ministère des armées devra procéder à des arbitrages budgétaires lourds. Les crédits disponibles seront prioritairement alloués aux missions opérationnelles et le soutien pourrait alors faire l’objet d’externalisations intelligentes au profit d’opérateurs privés.

Le succès de l’externalisation du soutien dépend cependant de la capacité de l’opérateur privé à mutualiser les équipements et à proposer un service plus efficient. La viabilité économique d’un projet peut se résumer en deux maître-mots : mutualisation et service.

L’approche capacitaire permet le transfert d’une part du risque d’exploitation au partenaire privé. Ce risque est compensé par la mutualisation des équipements. Pour les équipements duaux (notamment aéronautiques), l’existence d’un marché civil permet la réalisation de revenus complémentaires qui minorent le coût d’utilisation dont s’acquittent les forces armées. Mais les contrats d’externalisation ne doivent pas se limiter à une simple obligation de moyen. Au contraire, ils doivent comporter de strictes obligations de résultat selon une logique de service à rendre. Le partenaire privé vend au ministère des armées la disponibilité d’une prestation globale (mise à disposition de l’actif, maintenance, gestion des consommables et des rechanges, etc.) et des clauses de pénalités sanctionnent le non-respect des obligations de disponibilité prévues au contrat.

Ce n’est qu’à ces deux conditions que ces modèles managériaux alternatifs peuvent présenter un avantage.

 

A la suite du Général de Villiers, certains militaires et observateurs craignent une résignation et un dimensionnement plus modeste de l’outil sécuritaire français. Quels sont les premiers secteurs touchés par la réduction du budget militaire ?

 

Guillaume Farde : Il est demandé au ministère des armées de trouver 850 millions d’euros d’économies sur l’exercice 2017. Chacun comprendra qu’il est difficile de faire porter cet effort sur les dépenses de personnel. Il reste donc les dépenses de fonctionnement – hors dépenses de personnel – et les dépenses d’investissement. Il est donc probable que les dépenses du fameux programme 146 – équipement des forces – soient réduites. Je le regrette car cet arbitrage sous la contrainte, est loin d’être le plus rationnel économiquement parlant.

Fragiliser les industriels de la défense revient à menacer des emplois directs, à freiner leurs investissements et à les contraindre à des reports de charge dans la relation à leurs sous-traitants. Au final c’est tout un écosystème économique qui se trouve fragilisé et, à travers lui, le tissu de PME de nos régions Bretagne, Normandie, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, entre autres. Je rappelle à cet égard, que c’était précisément pour éviter ce type de désagrément que Jean-Yves Le Drian avait bataillé très dur à l’automne 2014, allant jusqu’à envisager la création de sociétés de projet pour ne pas avoir à envisager le scénario du pire : celui du glissement de calendrier.