Une nouvelle fois, les 26 et 27 janvier prochains, la vie politique tchèque risque de surprendre l’Europe. Le deuxième tour des élections présidentielles opposera le président sortant, Milos Zeman, largement en tête à l’issue du premier tour des 12 et 13 janvier 2018 avec 38% des voix, à un nouveau venu Jiri Drahos, distancé à environ 26% des voix au premier tour (cf. photo).
Les prérogatives du Président de la République tchèque sont constitutionnellement limitées mais le débat a acquis une portée régionale et même continentale du fait qu’il mettra aux prises un ancien militant de la gauche anti-communiste devenu eurosceptique russophile et islamophobe contre un universitaire europhile et libéral ralliant à lui les nouvelles forces politiques. Quels sont les enjeux de l’élection pour le pays et pour l’Europe ?
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Présidentielles tchèques, enjeux européens! – Telos
Merci à Michaël BRET, économiste, pour les données chiffrées et la relecture attentive
La République tchèque est aujourd’hui au cœur d’une séquence électorale et parlementaire agitée.
Le premier acte a été la crise gouvernementale de mai 2017 durant laquelle le Premier ministre social-démocrate d’alors, Bohislav Sobotka, avait obtenu la démission de son ministre des finances et rival politique, Andrej Babis, pour des usages douteux de fonds publics (cf. photo).
Le deuxième acte avait été constitué par les élections législatives des 25 et 26 octobre 2017, qui avaient renouvelé profondément le paysage politique : prenant sa revanche sur son Premier ministre, Andrej Babis avait remporté une courte victoire. L’instrument de sa victoire avait été alors le parti ANO 2011 (parti des citoyens mécontents), créé en 2011, qui avait fait une série de percées aux législatives de 2013 et aux régionales de 2016. Lors de la dernière législative, le milliardaire président d’ANO 2011 avait remporté 29% des voix et 78 sièges sur les 200 que compte la Chambre des députés, chambre basse du Parlement de la République tchèque, devant des rivaux plafonnant à 10%, qu’il s’agisse des conservateurs de l’ODS, du parti pirate CSP ou des sociaux-démocrates.
Troisième acte de la crise en décembre 2017 : Andrej Babis obtient sa nomination comme Premier ministre par Milos Zeman alors même qu’ils sont de sensibilités politiques bien différentes et qu’il n’a réussi à réunir aucune coalition parlementaire majoritaire (cf. photo). Autrement dit, l’élection présidentielle de janvier 2018 intervient alors même que les résultats des élections législatives n’a pas encore débouché sur une stabilisation du paysage parlementaire. Son issue aura nécessairement des conséquences sur la constitution de l’exécutif.
Milos Zeman et Andreji Babis
Quelle est la donne du deuxième tour de cette semaine ? D’un côté, le président de la République tchèque sortant, Milos Zeman, âgé de 73 ans et dont la santé a constitué, à tort ou à raison, un thème de discussion lors de la campagne électorale. Familier d’une certaine distance avec la langue de bois, cet ancien acteur de la lutte contre le communisme a exposé plusieurs fois publiquement sa méfiance à l’égard de l’islam, son refus de la politique d’accueil des migrants ainsi que sa proximité à l’égard de la République Populaire de Chine et de l’administration présidentielle russe.
La dynamique électorale est plutôt en sa faveur : premier président élu au suffrage universel direct à l’élection de 2013, il a déjà remporté ce scrutin avec un score de premier tour inférieur (24% alors) mais en emportant le second tour haut la main (54%). De plus, il bénéficie d’une alliance objective avec le Premier ministre minoritaire et en difficulté.
De l’autre côté, Jiri Drahos est l’ancien président de l’Académie des Sciences. Loin de la politique professionnelle, cet outsider est assez nettement distancé avec un retard de plus de 10% des voix. Toutefois, durant l’entre deux tours, sa candidature réunit les opposants à la candidature Zeman, autour d’un axe pro-européen : les trois indépendants, Pavel Fischer, l’ancien ambassadeur de République tchèque en France (10,19% des voix), Marek Hilser, médecin (8,8% des voix) et Michal Horacek, chanteur populaire (9,14% des voix). Sa dynamique est comparable à celle lancée en Autriche par la candidature d’Alexander Van der Bellen, universitaire écologiste ayant rallié au second tour les voix des opposants au candidat d’extrême droite FPÖ Norbert Hofer. De même, les voix soutenant Jiri Drahos émanent essentiellement de la région capitale de Prague alors que la géographie électorale de Zeman est celle des petites villes périphériques et des campagnes. En outre, la réserve de voix est, comme la lassitude à l’égard du sortant, encore grande : seulement 60% des électeurs s’étaient prononcés lors du premier tour.
Jiri Drahos
L’alternative est moins claire qu’en Pologne, en Autriche ou en Hongrie où le populisme eurosceptique et nationaliste teinté d’illibéralisme affronte, sous différentes figures, des partis libéraux et pro-européens en perte de vitesse. Mais le deuxième tour aura un impact sur la région toute entière.