Vers la fin de l’organisation Etat islamique? (D.R. HAFEZ sur EAP)

Le territoire de l’organisation Etat Islamique (EI) n’existe pratiquement plus en Syrie et en Irak. Pourtant, l’Etat islamique demeure une menace pour la région car bon nombre de ses combattants se sont maintenant dispersés et continueront à semer le chao en Lybie, en Afghanistan et ailleurs. Aujourd’hui, une question se pose à la fois pour les cadres de l’EI et pour la coalition de pays qui le combat : quelle forme prendra l’EI ? En effet, si l’Etat Islamique est actuellement présent en Afghanistan et a vraisemblablement des unités en Europe, il lui faut évoluer de manière significative sur le fond pour continuer à marquer la « nébuleuse islamiste ». Désormais, plusieurs questions essentielles se posent sur l’EI.

L’Etat Islamique peut-il survivre à la perte de sa spécificité territoriale

L’EI n’a pratiquement plus de territoire et a vu son aura diminuer considérablement par rapport à la période 2012-2014. En effet, l’apport de l’EI par rapport à d’autres organisations islamistes telles qu’Al Qaida était précisément sa capacité à créer un « Etat » au sens wébérien du terme : un territoire, un appareil avec des administrations spécifiques (une forme de sécurité sociale, un « ministère » de l’intérieur, de l’éducation, des services de renseignement internes et externes, une taxation systématique) et donc de dépasser le modèle plus conventionnel d’un groupe terroriste non territorialisé subsistant grâce à des financements externes. Or, à ce stade, l’EI en Syrie et en Irak n’a vraisemblablement plus les capacités organisationnelles pour exister en tant « qu’Etat » ou organisation para-étatique. De toute évidence, la présence de l’EI en Syrie et en Irak perdurera mais dans une forme plus proche des mouvements terroristes habituels c’est-à-dire, un mouvement mélangeant idéologie islamiste et activités illégales lucratives (rançons, racket, trafics) par « nécessité économique ». Dans ce scénario, l’EI deviendra un mouvement terroriste dangereux parmi d’autres, mais ces particularismes qui ont contribué à sa popularité disparaitront.

L’Etat Islamique peut-il se redéployer durablement en Afghanistan ?

L’Afghanistan, de par sa topographie, est un lieu tout désigné pour qu’un mouvement terroriste en quête de base arrière stable se développe. Le contrôle du territoire par les autorités afghanes est partiel et intermittent. De plus, les rivalités et les communautarismes laissent des conditions favorables aux organisations clandestines. Enfin, les revenus générés par les trafics (drogue, exploitations minières notamment) permettent à ces organisations de se « refaire une santé ». L’EI avait identifié ces « atouts » de l’Afghanistan dès 2014 et une branche appelée « Etat Islamique au Khorassan » avait vu le jour.

Cependant, l’Afghanistan n’est pas le terrain idéal pour que l’EI puisse retrouver sa puissance d’hier, et ce pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, les Talibans en Afghanistan entretiennent une relation compliquée avec l’Etat Islamique au Khorassan. En effet, les Talibans et l’EI sont tantôt rivaux tantôt alliés sur le terrain, et ce positionnement varie continuellement souvent en fonction du chef taliban local sur le terrain. Dans les échelons plus élevés des talibans, cette ambivalence perdure – d’un côté, les talibans voient l’arrivée de l’EI avec méfiance, car ils redoutent un mouvement rival. D’un autre côté, certains cadres « faucons » des talibans considèrent l’EI comme un mouvement allié car luttant contre les infidèles et l’Occident. De plus, l’arrivée de l’EI peut servir les intérêts des négociateurs talibans qui n’hésiteront pas d’utiliser l’EI comme un épouvantail incontrôlable et « étranger » lors des discussions avec le gouvernement afghan, les USA, voire les soutiens traditionnels des talibans (Pakistan notamment).

Du point de vue de l’EI au Khorassan, son implantation en Afghanistan est problématique : sur le long terme, l’EI ne pourra probablement pas contester la légitimité des Talibans en Afghanistan comme seule organisation islamiste ayant pour vocation de créer un Etat Islamique, étant donné l’implantation historique des Talibans dans la région et l’aura favorable de ceux-ci en tant que combattants de la première heure contre l’URSS. De plus, l’incertitude produite par la possibilité d’être livrée à la coalition internationale dans le cadre d’un « retour en grâce » des talibans en Afghanistan ne permettra pas à l’EI de se développer « sereinement ».

L’Etat Islamique peut-il pallier son déficit historique de crédibilité religieuse et idéologique ?

L’absence de légitimité religieuse et idéologique de l’EI lui a très régulièrement été reprochée par les autres organisations islamistes concurrentes présentes sur les territoires syriens et irakiens. La formation théologique d’Abou Bakr al Bagdadi ou d’Abou Omar al Bagdadi est souvent pointée du doigt, notamment par al-Qaida. Les activités de l’EI, notamment le racket des populations musulmanes vivant dans le territoire de l’EI sont vivement critiquées par les organisations djihadistes prônant la recherche d’un soutien de la population.

L’exécution spectaculaire de détenus a permis d’élever le profil de l’EI dans les médias et sur les réseaux sociaux, mais a suscité de vives condamnations de la part d’autres organisations islamistes et empêchera probablement l’EI de demander la protection d’une autre organisation islamiste. En effet très peu d’organisations se risqueront d’héberger l’EI pour ne pas être associée aux pratiques de ce dernier et d’en subir les conséquences.

Afrique, Asie, Europe : quelle géopolitique de l’horreur pour l’EI ?

Afin de ne pas stagner et de ne pas disparaitre dans la « nébuleuse » islamiste, l’Etat Islamique est forcé d’évoluer pour présenter un visage plus impressionnant encore. L’EI dans sa version initiale a fait le pari de prendre un territoire musulman et de l’administrer. L’EI devra à terme tenter de prendre le pari de contrôler un territoire non-musulman et de l’administrer. Cet objectif permettrait de balayer les critiques faites à l’encontre de ses pratiques notamment de racket et de conversion forcée (mariage forcé etc), puisque l’EI pourra plus facilement les justifier théologiquement s’il tente de s’implanter sur une terre non-musulmane.

Le choix de territoire devient crucial : l’Asie du Sud peut paraitre comme étant une zone propice, mais son importance géostratégique pour plusieurs puissances mondiales (US, Chine) et donc sa surveillance rendrait l’implantation de l’EI en réalité assez difficile. L’Afrique devient alors un choix « judicieux » : des tensions communautaires, sociales et ethniques traversent plusieurs pays ce qui permet le développement d’un discours haineux. Le contrôle du territoire par les autorités centrales est souvent partiel voire inexistant. De plus, l’Islamisme est présent sur le continent (Boko Harram, Ansar Al-Dine, Shebab, AQMI et d’autres), ce qui rend la fermentation initiale de l’idéologie propre de l’EI plus facile et permet à l’EI de se fondre initialement dans la masse de courants islamistes pour ne pas attirer l’attention de la communauté internationale. Ces courants islamistes ont déjà fait le lien entre islamisme et banditisme (trafics), rendant plus facile la captation de ce type de ressources par l’EI. Seul le manque relatif de communication entre les courants déjà sur place rend la propagation de l’idéologie et du modèle EI plus difficile pour le moment. Néanmoins, il semble pertinent d’accroitre la surveillance de la zone sahélienne et de l’Afrique sub-saharienne pour déceler très rapidement toute tentative d’implantation de l’Etat Islamique.