Gilets Jaunes : contestation ou sédition? (BRET sur le Huffington Post)

La détresse est réelle. Un peuple éprouvé n’est jamais modéré. Mais l’ordre public et le respect des institutions sont des principes sur lesquels nul ne doit transiger. En démocratie, la violence n’est pas un mode d’expression politique légitime. Les prochaines échéances électorales et les institutions régulières sont les instruments légaux de contestation.

Retrouvez la tribune ici : Bret HuffPost Gilets Jaunes

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L’acte XVIII des Gilets Jaunes été marqué par un retour des dégradations massives –sous l’œil des médias du monde entier– sur les Champs-Elysée. L’incendie du restaurant Fouquet’s est aujourd’hui érigé en suprême acte de contestation des élites. Comme si pillages et violences pouvaient incarner un message politique au sein d’une démocratie. La coïncidence des dates est frappante: les Gilets Jaunes et les mouvements connexes accroissent les violences au moment même où le Grand Débat parvient à son terme. Aujourd’hui, pour ces mouvements, il est grand temps de choisir entre sédition et critique.

 

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Le temps de la clarification et du dialogue est venu. Si la colère a commencé par un ras-le-bol fiscal, elle est aujourd’hui devenue un besoin de considération et d’écoute. Les concessions et l’ouverture de la concertation nationale essaient d’y répondre. Les Gilets Jaunes doivent aujourd’hui choisir entre le droit de contester les politiques publiques et la tentation de contester le régime politique de la France.

En République, on peut contester une politique publique. Mais saper l’ordre public est tout autre chose.Pour être entendus, les Gilets jaunes doivent expressément renoncer à un nouveau 6 février 1934, quand les Ligues, notamment d’extrême-droite, avaient tenté de marcher sur le Parlement de la IIIème République. Ils doivent renoncer à la fascination des manifestations anti-CPE de 2005 et sur leur capacité à infléchir le cours du mandat.

Les Gilets Jaunes doivent clarifier leur rapport à la République comme ils doivent préciser les contours de leur démarche politique. Leur cible favorite est le chef de l’Etat, sa personnalité et son attitude générale. Telos l’a mis en évidence. Le démocrate reconnaît à chacun le droit de critiquer une ligne politique: la paix civile exige le respect des lois, pas l’amour du leader. Le principe de la République repose sur la vertu publique, pas sur la loyauté à une personne. C’est toute la différence entre l’Ancien Régime et le régime républicain comme l’a souligné Montesquieu. Toutefois, la colère, même compréhensible, ne peut jamais légitimer la haine. Décapiter une effigie du chef de l’Etat et injurier systématiquement le magistrat suprême, c’est saper le principe de l’élection au suffrage universel. La haine est (malheureusement) une passion collective. Mais elle ne doit pas devenir un programme politique.On peut assurer critiquer les conditions d’exercice du pouvoir. Mais contester la légitimité de l’élection est bien autre chose.

Les Gilets Jaunes sont face à un choix essentiel. Entre la contestation et la sédition. Que tout Gilet Jaune se souvienne qu’il est avant tout un citoyen: il est comptable de ses actes politiques devant toute la communauté nationale.

La contestation des élites et des inégalités forme le deuxième socle commun des Gilets Jaunes. Pour le démocrate, il n’y a rien de factieux à dénoncer le fossé entre « eux » et « nous ». La critique des élites peut même rappeler l’importance de la lutte contre les inégalités financières, territoriales et sociales. Cette exigence peut ouvrir une modernisation des institutions comme l’ont souhaité les électeurs en 2017. D’où la nécessité d’ouvrir un dialogue sur l’ensemble du territoire. Toutefois, saccager des permanences des députés, brûler des préfectures, appeler à l’émeute et violenter les forces de l’ordre relève d’une toute autre logique: c’est paralyser les institutions et outrager la représentation nationale. Dénoncer l’oligarchie est salutaire. Attaquer les organes représentant la nation est funeste.

Une révolte fiscale unit également les Gilets Jaunes: l’augmentation des taxes sur les carburants est contestée pour leur portée financière, symbolique et politique. Augmenter ces prélèvements a été ressenti, comme la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes nationales, comme une tentative de culpabilisation d’un mode de vie pourtant largement répandu. La « France périphérique », selon l’expression fameuse de Guilluy, a le droit de contester un impôt. Mais il est proprement anticonstitutionnel de dénier à la représentation nationale sa principale fonction: autoriser la levée de l’impôt au nom du peuple souverain. L’exécutif a décidé de placer la fiscalité environnementale, la taxe d’habitation, etc. au centre de la discussion avec les Français. Mais le Parlement n’est en rien dessaisi de ses missions d’exprimer le consentement à l’impôt et d’en contrôler minutieusement l’usage. Aucun référendum ne remplacera le travail budgétaire des deux chambres du parlement.

Ce mouvement constitue un tournant dans le quinquennat Macron: entamé 18 mois après l’élection de 2017 et le renouvellement massif des représentants du peuple à l’Assemblée nationale, il met en question ce pouvoir encore jeune avant même l’heure du bilan. A travers les revendications portant sur les référendums d’initiative populaire, sur la participation directe des citoyens aux décisions fiscales et sur une plus grande proximité entre gouvernant et gouvernée, les Gilets Jaunes rappellent une exigence profonde de la société française. Mais là encore, ils doivent choisir: entre la contestation stérile et la participation à la vie démocratique régulière.

La détresse est réelle. Elle a le droit de s’exprimer. Un peuple éprouvé n’est jamais modéré, lucide ou habile. Mais l’ordre public et le respect des institutions républicaines sont des principes sur lesquels nul ne doit transiger.

Le gouvernement a le devoir d’agir. Il en va du contrat social et politique scellé par l’élection de 2017. Mais les Gilets Jaunes sont eux aussi face à un choix essentiel. Entre la contestation et la sédition. Que tout Gilet Jaune se souvienne qu’il est avant tout un citoyen: il est comptable de ses actes politiques devant toute la communauté nationale. Il a aujourd’hui la responsabilité de donner une expression proprement politique à ses revendications. Une série d’élections s’annoncent: en mai pour les européennes, en 2020 pour les municipales et en 2021 pour les régionales. C’est là que doivent se manifester les critiques. Pas dans les incendies. Pas dans les violences.