Vous interpelliez votre lecteur : « Rappelons-nous en particulier que nous ne serons jamais à l’abri d’une épidémie inédite, à laquelle nous serions particulièrement vulnérables dans un contexte de malnutrition, même ponctuelle. » (p.22) La pandémie actuelle du Covid-19 confirme vos craintes : agit-elle comme cause, amplificateur ou comme révélateur d’une crise dont les ramifications seront multiples ?
La crise sanitaire actuelle est clairement un révélateur de la crise multiforme. Les problèmes sous-jacents étaient déjà bien présents.
Pour ne parler que de l’aspect sanitaire, cela fait plusieurs années que le budget alloué à la santé est progressivement réduit (on pense à la polémique sur les stocks stratégiques de masques, ou les différents épidémiologues se défendant d’avoir manqué de moyens pour étudier la famille des coronavirus). Avant la crise du Covid-19 cela faisait plusieurs mois que le personnel hospitalier dénonçait la réduction des moyens.
Pour l’aspect environnemental, la biodiversité nous protège des maladies infectieuses. En détruisant la biodiversité, on détruit les barrières naturelles et cela nous met à nu face à ce genre de risques. Certes, les épidémies ont toujours existé, mais leur rythme s’est accéléré. L’écologue et parasitologue Serge Morand montre qu’alors que le nombre de victimes de maladies infectieuses a diminué de 95% aux Etats-Unis entre 1900 et 1990 (grâce aux progrès en médecine), le nombre d’épidémies aurait été multiplié par 10 depuis 1940.
L’institut national de santé italien a montré que l’immense majorité des victimes du coronavirus en Italie était atteint de maladies chroniques causées en particulier par la malbouffe ou la pollution par exemple. Il y a clairement notre mode de vie et nos choix politiques à remettre en cause. Ces défaillances, nous le dénoncions déjà dans le livre avant même la crise, mais la crise les dévoile au grand jour et aux yeux de tous.
Vous évoquez, notamment à travers le recours à la fiction, la menace d’une guerre nucléaire qui est aujourd’hui relativement absente de l’imaginaire populaire, contrairement aux années 1970 où cette peur était plus ancrée. Faites-vous un parallèle avec la menace climatique ?
C’est bien au sens littéral. Le risque de guerre nucléaire est toujours bien présent. En l’état actuel des choses cela ne parait pas un risque imminent, mais à une échelle de 10 à 20 ans, le sujet pourrait redevenir préoccupant. Le dérèglement climatique est une bombe à retardement géopolitique.
Jean-Michel Valantin, le montre dans son livre, Géopolitique d’une planète dérèglée : le dérèglement climatique menace les équilibres géopolitiques. Nous vivons encore dans une relative abondance : la nature a été très généreuse avec nous jusqu’à aujourd’hui. Mais si le climat s’emballe, ce sont les écosystèmes qui s’effondrent et donc nos ressources alimentaires avec. La multiplication des catastrophes climatiques met en péril l’agriculture (sécheresses, espèces invasives,…). Le dernier rapport du GIEC montrait que les rendements agricoles baissent en moyenne de 2% par décennie, alors que pour satisfaire les besoins de la population mondiale, il faudrait une augmentation de la production de 14% par décennie.
Bien qu’elle soit sans doute apocryphe, on attribue cette phrase à Churchill : « Entre la civilisation et la barbarie, il y a cinq repas ». Il est aisé d’imaginer des scénarios à la Mad Max avec l’émergence d’Etats-belliqueux se battant entre eux pour des ressources devenues rares. On est prêt à tout quand on a le ventre vide y compris, pourquoi pas, à appuyer sur la gâchette nucléaire.
Vous appelez à « Sortir du fatalisme et renouer avec l’optimisme », et présentez plusieurs orientations pour cela. Pensez-vous encore possible de faire du « Green New Deal » européen l’un des instruments de cette transformation, qui passera également par la mobilisation des territoires ?
C’est en effet un appel que nous lançons à Ursula Von der Leyen à la fin du livre ! L’objectif de neutralité carbone en 2050 est ambitieux. Maintenant, il faut y mettre les moyens. Il est urgent que l’Europe soit enfin cette Union tournée vers des objectifs sociaux et environnementaux.
Mais dans le paradigme économique actuel, le risque est fort que la transition énergétique prônée dans ce Green New deal, ne soit qu’une addition énergétique. Dans les milieux financiers, les actifs verts sont à la mode. Il n’y a jamais eu autant d’argent disponible pour développer les énergies renouvelables. Mais en même temps, la consommation mondiale d’énergie ne cesse de croitre et on n’a jamais consommé autant de pétrole et de gaz que l’an passé, et que l’année encore avant.
Le risque est que le Green New Deal ne soit qu’une opportunité supplémentaire de faire du business pas cher dans un secteur porteur mais qu’en même temps on ne réduise pas considérablement la consommation d’énergie. La transition écologique n’est viable qu’en réduisant drastiquement la consommation d’énergie, en tendant vers la sobriété.
Il existe cette tendance techno-optimiste qui pense qu’il suffit de remplacer les voitures diesel par des voitures électriques, les avions à kérosène par des avions à panneau solaire, ou encore des burgers au bœuf par des burgers à viande de synthèse. La transition écologique ce n’est pas remplacer nos consommables par des ersatz supposément « verts » mais c’est repenser entièrement notre mode de vie autour de la sobriété. La recherche du profit, à lui seul, n’est plus un moteur suffisamment puissant pour tendre vers cela. Les citoyens ont un rôle clé, pour alerter, et l’Etat, pour planifier, et diriger la quête du profit dans un sens plus écologique.
Mais une économie de guerre ne se réussit pas en opposition à la recherche du profit. L’exemple américain est très parlant. L’historien Hugh Rockoff n’explique pas la réussite de l’effort de guerre américain par son économie centralisé mais par le parallèle historique avec la Ruée vers l’or de 1848 : l’Etat offrait de bons prix pour l’achat de matériel militaire et les industriels s’empressèrent alors d’en produire. Nous ne disons donc pas que transition écologique et initiative privée soient incompatibles ! Il faut simplement un encadrement clair de ce qui est possible et de ce qui doit être : nos démocraties doivent donner des fins à l’économie et le monde de l’entreprise doit être la force productive pour atteindre ces fins.