Cyrille Bret : vous avez dirigé le livre qui vient de paraître Géopolitique de l’Europe trois décennies après l’ouverture du rideau de fer aux édition Diploweb. Par-delà les enjeux historiques, géographiques et politiques, d’où vient votre intérêt personnel pour cette région et ses cultures?
Pierre Verluise : C’est une histoire qui remonte aux années 1980… J’ai fait mon premier séjour en URSS en 1983, puis j’y suis retourné bien des fois, dont un séjour d’une année universitaire comme coopérant culturel pour le compte du Ministère des Affaires étrangères, dans le Caucase du Nord, à l’Université des langues étrangères de Piatigorsk. J’ai aussi circulé dans la Russie post-soviétique, jusqu’à Irkoutsk, et découvert les ex-satellites. J’ai passé par exemple passé un très bel été en Roumanie.
Florent Parmentier : né dans les années 1980, et m’intéressant tôt à l’actualité, mon intérêt pour l’intégration européenne (référendum sur le traité de Maastricht de 1992) s’est complété par une volonté de connaître davantage l’Europe Centrale et Orientale, qui était alors en profonde évolution. Mon stage à l’Alliance française de Moldavie a été déterminant dans cette voie. Dans mes études supérieures à Sciences Po, j’ai donc entrepris des recherches à la croisée de ces deux intérêts, pour étudier la politique européenne de voisinage et l’Etat de droit en Ukraine et en Moldavie.
Cyrille Bret : vous avez rassemblé des textes d’auteurs très différents sur des thématiques bien distinctes. Pourquoi avoir choisi la polyphonie pour cet ouvrage?
Pierre Verluise : Nous avons choisi de solliciter plusieurs auteurs parce que plusieurs cerveaux seront toujours plus malins qu’un seul, tout simplement. Nous avons aussi croisé nos carnets d’adresse. L’important était de réussir à la fois à trouver des auteurs experts et pédagogues, pour donner notamment aux moins de 30 ans des clés d’une époque qu’ils n’ont pas connu, et offrir au plus de 30 ans des ponts de compréhension entre avant et après 1989, jusqu’à aujourd’hui.
Florent Parmentier : L’Europe est-elle-même polyphonique, elle n’est ni une grande France, ni le Saint-Empire romain germanique, ni seulement un grand marché, elle est une construction, une succession et une diversité de sociétés qui se parlent depuis bien longtemps.Nos regards sur l’Europe, ou plutôt nos attentions portées aux bruits de l’Europe, se complètent. Dans les transformations auxquelles nous avons assisté ces dernières années, certaines ont été imperceptibles, d’autres ont défrayé la chronique pour finir dans un relatif anonymat. A l’heure du bilan, il nous faut convoquer plusieurs voix pour entendre ces changements du monde.
Cyrille Bret : si vous aviez un symbole à choisir pour l’Europe dans trois décennies, lequel choisiriez vous?
Pierre Verluise : Dans trois décennies, l’Europe – Russie incluse – ressemblera à une maison de retraite. Depuis les années 1970 nous avons toutes les connaissances pour le comprendre et redresser la dynamique, mais rien ne change. A chaque peuple sa part d’histoire. L’Europe a longtemps dominé et construit le monde à sa main, elle va apprendre la position de dominé. A moins que les promesses de la nouvelle Commission européenne d’une « Europe géopolitique » ne deviennent des réalités, et encore… Quoi qu’il en soit les décennies qui viennent seront très difficiles. Si j’osais, j’ajouterais que trente ans après l’ouverture du mur de Berlin nous sommes le dos au mur… L’objectif de ce livre est aussi de faire comprendre les enjeux géopolitiques et stratégiques du moment.
Florent Parmentier: Se projeter trois décennies en avant est un exercice extrêmement intéressant. On surestime généralement les changements à deux ans mais on les sous-estime à dix ans. Que dire alors d’un exercice à trente ans ? Au-delà de la démographie, ce sera une Europe touchée par le dérèglement climatique, avec des territoires perdants et des gagnants, avec un progrès technologique vertigineux. Il serait bon qu’un débat démocratique s’ouvre au Parlement européen pour répondre à cette question simple : qu’est-ce que l’Europe veut porter comme message au monde en 2050, pour les 100 ans de la déclaration Schuman ? Après tout, la Chine, autre pays vieillissant, voit l’avenir à l’horizon 2049 ; Il n’est que grand temps d’observer les évolutions du monde, qui ne nous seront pas toutes favorables, ni négatives non plus. Ce livre entend contribuer à un état des lieux rétrospectif afin de s’y plonger.