Législatives en Serbie: victoire du SNS (BOREL – Eurasia Prospective)

Le 21 juin dernier, les électeurs de Serbie ont élu leurs 250 représentants au Parlement. Avec 191 sièges, le Parti progressiste serbe (Српска напредна странка – SNS) a remporté une victoire massive. A l’heure où la Serbie continue à négocier son adhésion à l’Union européenne, Thomas Borel répond aux questions de Florent Parmentier sur la vie politique serbe.

Logo du SNS

Florent PARMENTIER : que retenir des élections législatives du 21 juin ?

Thomas BOREL : Les élections législatives serbes du dimanche 21 juin ont vu la victoire écrasante du parti SNS, au pouvoir depuis 2014 et dont est issu le président Aleksandar Vučić. Le SNS a obtenu près de 63% des voix et se retrouve donc sans opposition de poids au sein du Parlement de Serbie dont elle contrôle désormais 191 des 250 députés. Le premier parti d’opposition, le Parti socialiste de Serbie, est arrivé deuxième mais avec seulement 10,4% des voix et 32 députés. Désormais, le SNS détient plus de 76% des députés à l’Assemblée nationale et peut procéder à la modification de la constitution, ce qui est rendu possible dans le système unicaméral serbe avec une majorité des 2/3 de l’Assemblée.

Les observateurs extérieurs seraient tentés de voir en ce résultat une approbation massive de la politique menée par le SNS. Néanmoins, il faut bien voir que ce scrutin a été marqué par le boycott prôné dès septembre 2019 par la coalition d’opposition Alliance pour la Serbie, qui détenait alors 25 sièges à l’Assemblée nationale et avait été la principal instigatrice des manifestations anti- Vučić qui avaient émaillé 2018-2019. Cette tactique a partiellement marché puisque le taux de participation a baissé de 8 points par rapport à 2016, passant de 56% à 48%, réduisant la légitimité de la victoire du SNS, mais elle n’a pas été suivie par les autres partis d’opposition. Dans les faits, même si la participation à ces élections est en baisse, elle demeure supérieure à celle observée pour des élections similaires dans d’autres pays européens, comme celles législatives de 2017 en France (48,7% au premier tour et 42,6% au deuxième).

En conclusion, ces élections entérinent le pouvoir quasi absolu que détient Aleksandar Vučić en Serbie, ainsi que la décrédibilisation croissante des institutions représentatives du pays. Ce deuxième axe est de plus renforcé par le grand nombre d’irrégularités constatées lors du scrutin.

Le président serbe, Aleksandar Vučić

Florent PARMENTIER : quelles sont les caractéristiques de la politique d’Aleksandar Vučić et de son parti, le SNS?  

Thomas BOREL : Le paradoxe paraît être le maître-mot de la direction politique qu’Aleksandar Vučić et le SNS insufflent au pays depuis leur victoire aux élections législatives de 2014. En réalité, ce paradoxe dénote d’un opportunisme et d’une ambivalence pour lesquels le président serbe paraît être devenu maître.

Historiquement, le parti SNS est issu d’une scission survenue en 2008 du parti radical serbe (Srpska radikalna stranka – SRS), partisan de la Grande Serbie « tchetnik » et soutien indéfectible des conflits menés par Belgrade dans les ex-républiques yougoslaves. Le SNS a entrepris de rassembler les membres du SRS favorables au rapprochement avec l’Union européenne (UE), dont son président d’alors, Tomislav Nikolic, ainsi que son secrétaire général, Aleksandar Vučić.

Cette origine du parti explique en partie les paradoxes qu’il affiche en matière de politique étrangère, avec une proximité très forte avec la Russie, principal allié du pays, mais également une volonté affichée d’inscrire le pays dans la trajectoire d’intégration à l’Union européenne. Cette ambivalence s’incarne par exemple dans l’ouverture et l’avancée des négociations d’adhésion à l’UE depuis janvier 2014 mais, dans le même temps, le refus systématique d’appliquer les sanctions européennes à l’égard de la Russie après l’annexion de la Crimée, point pourtant indispensable de la convergence de la Serbie avec l’Union.

En ce qui concerne la politique intérieure, le SNS adopte une position conservatrice, qui met notamment en avant les racines chrétiennes de la Serbie et les valeurs familiales traditionnelles. Sous cet angle, ce parti est à rapprocher des autres partis dits « illibéraux » d’Europe centrale et orientale dont le chef de file est le Fidesz hongrois de Viktor Orban. Ici aussi, les paradoxes sont nombreux, comme avec la nomination en juin 2017 d’Ana Brnabic comme Première ministre, première femme ouvertement homosexuelle à occuper ce poste, alors que le SNS s’oppose farouchement au développement des droits des homosexuels, par exemple à la création d’une union civile ou à la suppression de l’article 62 de la constitution serbe qui spécifie que le mariage est contracté entre un homme et une femme.

De manière plus générale, le pouvoir d’Aleksandar Vučić est fortement personnalisé autour de sa personne et de moins en moins autour de son parti. Ainsi, lors des dernières élections législatives, la liste des candidats du SNS à l’Assemblée nationale s’appelait « Aleksandar Vučić- pour nos enfants » alors même que ce dernier n’était pas candidat.[2] Cette personnification croissante du pouvoir se double également d’une concentration de ce dernier entre les mains du Président, qui exerce indirectement les pouvoirs exécutifs attribués au gouvernement via son poste de président du SNS, le premier parti représenté au sein de l’Assemblée nationale. Cette double tendance observée dans le pays conduit à une mainmise croissante du Président et de son parti sur la société serbe, notamment via le contrôle des médias dont la majorité est contrôlée directement par le gouvernement via les chaînes publiques ou par ses affidés du SNS qui contrôlent les principales chaînes privées. Ainsi, comme le relève un rapport du Parlement européen de 2019,[3] le temps d’antenne consacré à Vučić lors des élections présidentielles de 2017 a été dix fois supérieur à celui de l’ensemble de ses opposants combinés. En conséquence, la Serbie est passée de la 54e place à la 93e dans le Classement de la liberté de presse de Reporters sans frontière entre 2015 et 2020.

Florent PARMENTIER : Aleksandar Vučić dispose-t-il encore de contre-pouvoirs qui pourraient limiter une dérive autoritaire?

Thomas BOREL : Le boycott des élections législatives par une partie de l’’opposition a conduit à donner dans l’équivalent des pleins-pouvoirs à Aleksandar Vučić. Contrairement à d’autres pays où les partis « illibéraux » règnent au niveau national mais connaissent une opposition croissante au sein des collectivités locales, comme à Budapest par exemple, les municipalités et régions serbes sont majoritairement aux mains du SNS. Ainsi, si l’opposition ne peut venir des institutions nationales où le SNS est largement majoritaire, elle doit venir d’en-dehors.

Comme évoqué précédemment, les médias serbes ont été presque tous mis en coupes réglées par le SNS et son dirigeant. La société civile paraît donc être le principal espoir d’un véritable contre-pouvoir. C’était déjà elle qui avait réussi à mettre à bas Slobodan Milošević en octobre 2000 avec la révolution dite des bulldozers et ses manifestations rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes à Belgrade. Ce parfum contestataire a flotté à nouveau en Serbie en 2018-2019 lorsque le mouvement « 1 sur 5 millions », notamment appuyé par l’Alliance pour la Serbie, a mené pendant plusieurs mois des manifestations d’envergure contre le pouvoir de Vučić. Si ce dernier mouvement n’a pas eu de conséquences notables au-delà du boycott des élections de 2020, les événements d’octobre 2000 marqué par la prise des studios de la radio-télévision serbe, symbole du pouvoir de Milošević, demeurent comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du chef d’État serbe.

[1] Balkan Insight, Serbia President’s Party Scores Landslide in Election Boycotted by Opposition, 21 juin 2020

[2] Balkan Insight, Serbia’s Infallible Leader no Longer Needs a Party, 19 juin 2020

[3] Parlement européen, Serbia at risk of authotarianism ?, mai 2019