Le continuum de sécurité nationale selon Guillaume Farde

Docteur en sciences de gestion, Guillaume Farde est conseiller scientifique de la spécialité sécurité-défense de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po où il est titulaire du cours d’économie de la sécurité et de la défense. Auteur de plusieurs ouvrages et articles relatifs aux enjeux de défense nationale, de sécurité intérieure et d’intelligence économique, il est également consultant pour la chaîne d’information BFMTV. Guillaume Farde est, enfin, réserviste citoyen de la Gendarmerie nationale et Administrateur du fonds de dotation pour la Garde Républicaine.  

Cyrille Bret : qu’est-ce que le continuum de sécurité nationale? en quoi est-il un enjeu pour la France d’aujourd’hui?

Guillaume Farde : le continuum de sécurité nationale est un concept élaboré par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en 2016 dans un contexte où les attentats jihadistes de 2015 avaient profondément transformé l’organisation de la sécurité du pays. Des agents de sécurité privée employés pour la sécurisation des grands événements aux militaires des armées engagés au Levant, au Sahel et sur le territoire national dans le cadre de l’Opération Sentinelle, en passant par les policiers municipaux, nationaux et les gendarmes déployés sur la voie publique, tous contribuaient à la sécurité générale de la Nation. Il se dessinait ainsi une sorte d’axe gradué des missions les plus locales et les moins sensibles aux missions les plus internationales et les plus sensibles où chaque acteur de la sécurité nationale avait un rôle à jouer : le continuum de sécurité nationale était né. Sauf que, comme bien souvent, l’Etat ne donnait pas le mode d’emploi. Ni le rôle de chacun des acteurs, ni les modalités de leur travail commun n’ont été clairement fixées. 

Cyrille Bret : quelle est la place des acteurs privés dans les prérogatives régaliennes de l’Etat? Quelles sont les missions à leur confier? Et quels sont les contrôles à exercer?

Guillaume Farde : les acteurs privés sont de nature très variée (les industries d’armement, les entreprises de services de défense, les entreprises exerçant des activités privées de sécurité telles que définies au Livre VI du Code de la sécurité intérieure, les sociétés de conseil en sûreté et en intelligence économique…). Leur grande variété explique les décalages de maturité de leur relation aux administrations de l’Etat et elle éclaire, corollairement, les différents niveaux de résistance lorsqu’il est question de leur déléguer des prestations. Pour ce qui concerne la fourniture de services dans le cadre de partenariats public-privé, il appartient à l’Etat et au législateur de définir clairement ce qui est délégable, à qui et avec quel contrôle. Le périmètre de ce qui peut être délégué ou non, se définit sur la base de critères politiques : selon que vous soyez étatiste ou libéral vous ne positionnez pas le curseur de la même manière. Une fois ce premier travail réalisé, il revient, derechef, à l’Etat de définir des critères de confiance (nationalité de l’entreprise, nationalité des capitaux, nationalité des dirigeants, habilitations, labels…) pour que cette relation d’affaires reste bien au service de l’intérêt général. Enfin, l’efficacité d’une règle étant étroitement liée à la rigueur de son contrôle, il est nécessaire de définir des modalités de contrôle strictes et cumulatives (ordre professionnel, contrôle administratif externe, contrôle juridictionnel…).

Cyrille Bret : quelles devraient être les pistes d’action de la fin de la mandature en matière de sécurité nationale?

Guillaume Farde : le Livre blanc de la sécurité intérieure a fait l’objet de travaux préparatoires personnellement suivi par le Secrétaire d’Etat Laurent Nuñez. Dans le cadre de ces travaux, un groupe de travail sur quatre était consacré au continuum de sécurité nationale. C’est un progrès à saluer. Il est cependant regrettable que la publication du Livre blanc soit encore repoussée de six mois et, subséquemment, qu’avant janvier 2021, le continuum de sécurité nationale soit privé de feuille de route. Le calendrier sera d’autant plus lent qu’une fois dévoilé, le Livre blanc devrait être suivi d’une loi d’orientation et de programmation qui fixera les modalités de mise en oeuvre du continuum et les moyens budgétaires associés. Il est dommage que des étapes aussi essentielles n’interviennent qu’en fin de législature mais le chantier progresse néanmoins.