Joe Biden face à l’Iran selon Clément THERME

Clément THERME analyse la stratégie iranienne du « Président élu » Joe Biden alors que s’ouvre une période de transition durant laquelle le président sortant, Donald Trump, peut encore agir sur la scène internationale.

Clément THERME est chercheur  post-doctorant au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris et membre associé du CETOBAC à l’EHESS. Il a notamment dirigé l’ouvrage L’Iran et ses rivaux (Passés composés, 2020) et co-dirigé L’Iran en quête d’équilibre, Confluences Méditerranée, 2020. Il vient de publier « La République islamique d’Iran à l’épreuve de l’élection présidentielle américaine » sur The Conversation France.

Cyrille Bret: envers l’Iran, le candidat Biden avait annoncé vouloir rompre avec la stratégie de la « pression maximale » de l’administration Trump. Est-ce encore possible?

Clément THERME: il y a une tentative de la part de l’Administration Trump de construire un « mur de sanctions »1 pour empêcher un retour au statu quo ante. Il reste plusieurs semaines pour prendre des décisions qui compliqueront les futures négociations entre Téhéran et Washington. De plus, il reste aussi le risque de voir un Congrès républicain s’opposer à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie iranienne de la future administration Biden. Enfin, les préférences politiques des alliés régionaux des Etats-Unis (Israël, l’Arabie Saoudite et dans une moindre mesure les Emirats Arabes Unis) demeurent inchangées. Au-delà de ces contraintes, il faut également prendre en compte la position de la République islamique d’Iran tiraillée entre, d’un côté, les impératifs de survie économique du régime qui nécessitent une négociation avec Washington et, d’un autre côté, le facteur idéologique qui fait de l’anti-américanisme une question d’identité politique du régime. Il y aussi à Téhéran une crise de confiance dans la possibilité de conclure un accord pour une longue durée avec une administration américaine. Effet, la participation de Washington dans le précédent accord n’a été que de trois années (2015-2018).

Dans ce nouveau contexte, il est probablement plus réaliste d’envisager un accord limité aux questions nucléaires et de court terme entre Washington et Téhéran. Une méthode diplomatique qui pourrait être fondée sur un « plus pour plus » (more for more) pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la stratégie iranienne du « moins pour moins » (less for less). En effet, moins d’application de l’Accord de 2015 par Téhéran pourrait conduire à l’émergence de nouveaux doutes au sein de la « communauté internationale » sur la nature des ambitions nucléaires de l’Iran. A l’inverse, plus de levée des sanctions unilatérales américaines est un objectif positif pour la République islamique qui pourrait alors recommencer à exporter légalement son pétrole sur le marché international. Cela pourrait se faire en échange d’une application plus grande de l’Accord sur le nucléaire de 2015 par Téhéran.

Cyrille Bret: le candidat Biden avait déclaré qu’il souhaitait reprendre les négociations avec l’Iran sur son programme nucléaire. Comment procédera-t-il? lèvera-t-il certaines sanctions? renoncera-t-il à critiquer le régime iranien? Cela serait-il compatible avec la promotion des droits de l’homme souhaitée par l’aile gauche du parti démocrate?

Clément THERME : le président élu peut construire sa nouvelle stratégie iranienne en soulignant le double échec de la politique de « pressions maximales » de l’Administration Trump (1) incapacité d’atteindre l’objectif de limiter les ambitions nucléaires iraniennes et (2) échec à créer des conditions favorables à un changement de régime. En revanche la paupérisation de l’Iran et les difficultés économiques que traversent le pays donnent au nouveau président une marge de manœuvre (leverage) dans de futures possibles négociations bilatérales. La question de la nature politique de la République islamique continue à être un obstacle à la conclusion d’un accord élargi (nuclear plus) qui couvrirait, au-delà des questions nucléaires, la politique régionale, le programme balistique et la question des droits humains. Ces questions semblent hors du champ du possible de la négociation internationale tant que dure le régime actuel.

Cyrille Bret : la politique iranienne de l’administration Trump semblait surtout dictée par la volonté de protéger Israël. Joe Biden reprendra-t-il cette ligne?

Clément THERME: la question de la sécurité d’Israël constitue l’un des fondamentaux de la politique moyen-orientale des Etats-Unis. Elle est trans-partisane. Il ne faut donc pas surestimer l’influence des question de politique partisane (volonté supposée de défaire l’héritage

trumpien) dans la définition de la nouvelle stratégie régionale de Washington à l’ère Biden.

1 https://www.wsj.com/articles/build-an-iranian-sanctions-wall-11554246565